Galaad et le Roi Pêcheur
contre les autres. Les uns portaient des armures blanches, les autres des noires, et telle était la seule différence que l’on vît entre eux. Les premiers se tenaient du côté de la forêt, les autres devant la forteresse, et nombre d’entre eux déjà avaient été renversés.
Lancelot contempla longuement le combat. Il lui sembla que le camp proche de la forteresse avait le dessous et perdait du terrain, quoiqu’il fût, semblait-il, le plus nombreux. Alors, il s’en approcha dans l’intention de le seconder, abaissa sa lance et, d’un coup violent, jeta à terre le premier adversaire qui se présenta. Puis, il en atteignit un second et parvint, bien qu’il eût rompu sa lance, à l’abattre à son tour. Alors, mettant la main à l’épée, il distribua de gauche et de droite des coups terribles et si pleins de prouesses que l’assistance entière lui décernait déjà le prix du tournoi.
Pourtant, comme le combat se prolongeait, Lancelot sentit progressivement la fatigue l’envahir, tandis que ses adversaires faisaient preuve, eux, d’une remarquable endurance. Il avait beau les frapper et les marteler, ceux-ci, loin de reculer, ne cessaient de progresser. À la fin, ils le pressèrent même si durement qu’il pouvait à peine tenir son épée et, convaincu qu’il n’aurait jamais plus la force de tenir ses armes, il dut se résoudre à s’avouer vaincu. Les vainqueurs l’emmenèrent dans la forêt tandis que, privés de son aide, ses compagnons de combat devaient à leur tour se rendre. Or, les chevaliers qui l’emmenaient lui dirent : « Lancelot, te voici prisonnier et en notre entier pouvoir. Si tu veux t’y soustraire, il te faudra faire notre volonté. » Il le leur promit, fort à contrecœur, et put s’en aller, mais par un autre chemin que celui de son arrivée.
Tout en chevauchant, il se prit à penser que jamais il n’avait été réduit à si misérable état. Il ne lui était jamais advenu de participer à un tournoi qu’il n’en sortît vainqueur. Ce constat redoubla sa tristesse, et il se dit qu’il avait dû commettre des forfaits bien graves pour avoir mérité de perdre ainsi sa force et son endurance. Comment expliquer autrement sa défaite ? Hélas, il s’en était déjà trop aperçu lorsque, en présence du saint Graal, il lui avait été impossible de s’arracher à l’étrange torpeur qui le pétrifiait…
Il pénétra dans une vallée profonde et verdoyante qui sinuait entre deux collines dénudées. Au fond, coulait la rivière qu’on nommait Marcoise et qui divisait la Gaste Forêt. Quoique convaincu qu’il devait traverser, il balançait, effrayé par la violence du courant, quand lui arriva une extraordinaire aventure. Car, comme il cherchait un endroit où la rivière eût été moins profonde et moins périlleuse, il vit sortir de l’eau un chevalier revêtu d’armes plus noires que mûres et monté sur un grand cheval non moins sombre. Sans dire un mot, celui-ci s’approcha de Lancelot et, d’un violent coup d’épée, lui tua son cheval sous lui mais sans le toucher personnellement. Sur ce, il disparut si vite que Lancelot n’eut pas le temps de réagir. La vue du cadavre de sa monture mit le comble à son désespoir et, le regard fixe, il se mit, comme halluciné, à longer la berge sans savoir comment il traverserait. Il parvint de la sorte à un promontoire qui surplombait les flots et, très las, retira son heaume, déposa son bouclier au sol et se coucha à même la terre entre deux rochers. Comment se tirer de ce pas délicat ? Partirait-il à pied dans la forêt, au risque de s’y perdre ? Escaladerait-il l’une des collines en quête de nourriture ? Il se doutait qu’il n’en trouverait pas. Alors, tenterait-il de franchir la rivière ? Les eaux étaient si profondes et si tumultueuses qu’elles l’entraîneraient probablement dans leurs tourbillons dès qu’il y aurait mis le pied. Aussi se mit-il à prier, dans l’espoir que Dieu le prendrait en pitié et lui enverrait un signe susceptible de le réconforter {21} .
5
Le Verger de Brunissen
Après s’être séparé des compagnons de la Table Ronde, Girflet, fils de Dôn, vint à traverser une lande désolée où des rochers rouges se dressaient parmi des touffes d’ajoncs griffus. Le vent soufflant avec violence, il avait toutes les peines du monde à faire avancer son cheval, tant les rafales suffoquaient celui-ci. Au terme d’une longue course, il arriva
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