Galaad et le Roi Pêcheur
capable pour le sauver ! – Admettons, répondit le prêtre, l’événement le prouvera le moment venu. »
Là-dessus, il le mena jusqu’à la tour et l’y fit entrer par la grande porte. À l’intérieur, ils trouvèrent une foule de chevaliers, de dames et de jeunes filles qui tous souhaitèrent la bienvenue à Bohort. On le désarma et, lorsqu’il fut en justaucorps, on lui couvrit les épaules d’un splendide manteau fourré d’hermine. Puis on l’emmena dans une grande salle et, l’ayant fait asseoir sur un lit blanc, on l’exhorta si gracieusement à se réjouir qu’il finit par ne plus penser à la douleur que lui causait la perte de Lionel. Or, tandis qu’on le consolait si parfaitement, une femme parut, si belle et si avenante qu’elle semblait parée de toute la beauté terrestre, et vêtue comme si les plus belles robes du monde eussent été à sa disposition. « Seigneur, dit un chevalier, voici la dame à qui nous appartenons. Belle et riche entre toutes, elle t’a par-dessus toutes aimé, Bohort. Car voilà bien longtemps qu’elle t’attendait et refusait de prendre aucun autre ami. »
Bohort, tout ébahi de ces paroles, salua la dame qui, après lui avoir rendu son salut, s’assit à côté de lui. Ils parlèrent de choses et d’autres mais, plus ils parlaient, plus elle semblait s’échauffer. De fait, elle finit par prier Bohort d’être son ami, puisqu’il était l’homme qu’elle aimait le plus au monde, et elle lui promit, s’il répondait à son amour, de le faire plus riche et plus puissant que n’avait été aucun de ses ancêtres. De plus en plus troublé, Bohort ne savait que répondre. La femme lui dit alors : « Bohort, qu’y a-t-il donc ? Je te déplais donc à ce point ? Ne veux-tu point m’accorder ce que je te demande avec tant d’amour ? – Dame, répondit-il enfin, ce que tu me demandes est inconvenant, alors que mon frère gît dans la chapelle, au-dessous de nous, tué de je ne sais quelle façon ! »
La femme lui prit la main. « Ah ! Bohort ! dit-elle, au lieu de remâcher cela, écoute-moi. Sache que, si je ne t’aimais plus que jamais femme n’aima un homme, je ne te ferais pas cette prière, car ni la coutume ni les convenances n’autorisent une femme à parler la première, quelque violent que soit son amour. Mais le grand désir que j’ai toujours eu de toi contraint mon cœur et le force d’avouer ce qu’il a jusqu’alors tenu secret. Je te prie donc, bel ami, de m’accorder ce que je sollicite, à savoir de dormir avec moi cette nuit. » Bohort répondit avec fermeté qu’il n’en ferait rien. Elle donna alors les signes d’une prodigieuse douleur et parut secouée de sanglots. Mais elle ne réussit pas à ébranler Bohort, qui se détourna même afin d’ignorer le spectacle.
Ayant compris qu’elle n’obtiendrait pas satisfaction de cette manière, elle finit par reprendre la parole : « Bohort, dit-elle, ton refus va me faire mourir sous tes yeux. » Elle le prit par la main et l’entraîna jusqu’à la porte de la tour. « Reste là, dit-elle encore. Tu vas me voir mourir par amour pour toi. – Par ma foi ! s’écria Bohort, je n’ai nullement l’intention de le voir ! » Il voulut s’en aller, mais elle le fit saisir par ses sergents qui le tinrent solidement, tandis qu’elle montait aux créneaux en compagnie de ses douze suivantes.
Une fois toutes arrivées en haut, l’une des suivantes se mit à crier : « Bohort ! aie pitié de nous et octroie à notre dame ce qu’elle demande ! Faute de quoi, sache-le, nous nous précipiterons à l’instant de cette tour avec notre maîtresse, car nous ne pourrions souffrir de la voir morte. Ah ! Bohort ! il serait bien déloyal de ta part de nous laisser périr si misérablement ! Jamais, je crois, aucun chevalier ne s’est rendu coupable d’un pareil forfait ! » Bohort les regardait et, les prenant vraiment pour de nobles dames, il éprouva les premières atteintes de la compassion. Toutefois, au fond de lui-même, quelque chose l’empêchait de s’y abandonner plus avant. De sorte qu’il leur dit haut et fort, finalement, que leur mort ni leur vie ne le feraient céder. Du coup, toutes se précipitèrent depuis le sommet, et lui, les voyant tomber, fut si alarmé que, malgré sa stupeur, il leva la main et se signa. Or aussitôt se déchaîna un tel tumulte autour de lui qu’il se crut environné de tous les démons de l’enfer ;
Weitere Kostenlose Bücher