Galaad et le Roi Pêcheur
déjà presque jour. Ne voulant pas laisser deviner qu’il n’avait pas dormi sur le lit, il l’escalada à maintes reprises et s’y démena en tous sens pour donner le change. Et lorsque, l’heure venue, la dame vint le saluer, il se laissa mener à la chapelle et y entendit la messe. Sur ce, il s’équipa et enfourcha son cheval. On ouvrit les portes, et il descendit dans la prairie. Impatient d’en découdre et persuadé d’obtenir comme à l’accoutumée la victoire au premier assaut, son adversaire s’y trouvait déjà. Seulement, cette fois, il dut déchanter. Bohort évita sa lance de façon fort habile, et quand l’autre reprit l’assaut, il fut bousculé par-dessus son cheval et s’abattit dans l’herbe. Alors Bohort bondit sur lui, tira son épée et menaça de lui trancher la gorge.
« Grâce ! au nom de Dieu ! cria le vaincu. – Je te laisserai la vie, répondit Bohort, si tu te portes garant que la sœur de ma dame lui rendra les biens qu’elle lui a dérobés par iniquité. – Je le jure ! » dit aussitôt Priadan le Noir. Mais ce serment ne suffisait pas à Bohort. Aussi obligea-t-il son adversaire, une fois relevé, à s’aller agenouiller devant la dame de la Tour et à lui réitérer son serment devant tous les chevaliers assemblés. Alors, il lui rendit sa liberté, non sans l’engager à se présenter à la cour du roi Arthur pour y conter l’événement. Qui fut bien joyeuse de l’heureuse issue de cette rencontre ? Ce fut la dame, et elle invita Bohort à la fêter par de grandes réjouissances. « Dame, répondit-il, ma récompense est de te voir rétablie dans tes droits. Pour moi, je dois poursuivre la quête que j’ai entreprise et que je mènerai jusqu’à son terme, si Dieu m’en donne la force et le pouvoir. » Et, après l’avoir remerciée de son accueil, il prit congé, sauta sur son cheval et reprit sa route.
Le lendemain, lui advint dans la forêt une aventure merveilleuse. À un carrefour, il rencontra en effet deux chevaliers qui menaient un homme uniquement vêtu de ses braies et qui, les mains liées sur la poitrine, montait un sommier grand et robuste. Nantis chacun d’une poignée d’épines, les deux chevaliers fouettaient si furieusement leur prisonnier que le sang découlait de ses plaies multiples, tant devant que derrière. Or lui, un homme de grand courage, souffrait ces sévices sans une plainte, comme s’il n’eût rien senti. Alors, au comble de la stupéfaction, Bohort reconnut en lui son propre frère, Lionel.
Il allait se précipiter pour le délivrer quand il aperçut à peu de distance un chevalier armé qui entraînait de force une jeune fille au plus épais des fourrés, de sorte qu’un éventuel poursuivant ne l’y pût découvrir. Dans sa terreur, la jeune fille criait, implorait du secours et, lorsqu’elle vit Bohort sur son destrier, elle pensa qu’il était l’un des chevaliers errants de la quête et elle l’appela de toutes ses forces : « Chevalier ! sur la foi que tu dois à celui dont tu es le fidèle serviteur, je te conjure de m’aider et d’empêcher cet homme de m’outrager ! »
Ses supplications troublèrent on ne peut plus Bohort. Que faire ? Abandonner son frère à ses ravisseurs ? Sans doute alors ne le reverrait-il plus jamais… Abandonner la jeune fille ? C’était la vouer à la honte et par là même se déshonorer. Sa perplexité ne dura guère toutefois, et, éperonnant son cheval à lui déchirer les flancs, il s’élança sus au chevalier en criant : « Relâche cette jeune fille, ou bien tu es un homme mort ! » À ces mots, le chevalier déposa sa captive à terre, prit son bouclier, tira son épée et fit front. Mais Bohort, d’un seul coup d’épée, lui transperça si bien bouclier et haubert qu’il le précipita à terre, évanoui. « Jeune fille, dit-il alors, te voici libre. Que puis-je encore faire pour toi ? – Seigneur, répondit-elle, puisque tu m’as sauvée du déshonneur, ramène-moi où ce chevalier m’a prise. »
Bohort lui fit enfourcher le cheval du blessé et suivit avec elle le chemin qu’elle lui indiqua. Or, ils virent bientôt accourir à eux douze chevaliers armés qui s’étaient lancés à la recherche de la jeune fille. Tout heureux de la voir saine et sauve, ils firent fête à Bohort et dirent : « Seigneur, viens en notre manoir, s’il te plaît. Tu nous as rendu un si grand service que nous ne saurions assez t’en
Weitere Kostenlose Bücher