Galaad et le Roi Pêcheur
l’impression de tourner en rond. Ils finirent pourtant par découvrir dans une clairière une petite chapelle. La porte en était close, mais un banc en longeait le mur ; ils s’y installèrent et s’endormirent, recrus de fatigue, tandis qu’à l’entour leurs chevaux paissaient l’herbe fraîche.
Au matin, ils se réveillèrent brusquement, mal à l’aise comme si quelqu’un les avait frôlés durant leur sommeil et, debout d’un bond, ils virent, à leur grande stupéfaction, un bras émerger de la porte de la chapelle. Au bout de ce bras, une main, recouverte d’un gant de soie vermeille, brandissait un mors ainsi qu’un cierge allumé. Ils dégainèrent tous deux, prêts à frapper l’adversaire qui se présenterait ; mais une voix se fit entendre, qui paraissait surgir du plus profond de la chapelle : « Chevaliers de pauvre foi et de mauvaise croyance, les trois choses que vous venez de voir vous manquent, et voilà pourquoi vous ne pourrez mener jusqu’à leur terme les aventures du saint Graal. » Puis bras et main disparurent aussitôt. Plus que décontenancés, les deux compagnons reprirent place sur le banc, ne sachant trop que penser de cette apparition.
« Hector, dit alors Gauvain, il me revient en mémoire un songe que j’ai eu cette nuit. J’ai vu, dans une vaste prairie herbeuse, cent cinquante taureaux à l’allure orgueilleuse, à la robe tachetée, qui s’ébattaient, allaient et venaient, pâturaient tantôt et tantôt se ruaient les uns contre les autres. Au demeurant, trois d’entre eux différaient de leurs congénères. L’un, sans être vraiment tacheté, n’était pas vraiment blanc ; le deuxième n’avait qu’une seule tache sur la poitrine ; le troisième enfin était, lui, d’une blancheur immaculée. Là-dessus, le troupeau s’est rassemblé comme pour discuter, puis chacun de ses membres s’est égaillé de son côté. Longtemps, ne les voyant plus, je les ai crus disparus pour jamais dans la forêt, et je désespérais de les revoir, quand ils sont revenus, les uns après les autres, maigres et épuisés comme s’ils n’eussent rien mangé des semaines durant. Quant aux trois qui ne ressemblaient pas aux autres, je n’en ai vu reparaître qu’un, celui qui n’était ni vraiment tacheté, ni vraiment blanc. Que peut signifier ce rêve ?
— La chose étrange, dit Hector, est que j’ai fait moi-même un rêve que je ne comprends pas davantage. Je nous voyais, mon frère et moi, partir à cheval. On nous avait ordonné d’aller à la recherche de quelque chose que nous ne trouverions jamais, et nous nous acharnions à parcourir vallées, landes et forêts sans rencontrer demeure, chapelle ni ermitage. Je vis alors Lancelot, défié par un chevalier, l’affronter et se retrouver dépouillé de toutes ses armes ainsi que de son cheval. Il m’apparut alors vêtu d’une robe tapissée de houx et monté sur un âne. Il s’en allait par les chemins et, arrivé à une fontaine merveilleusement bâtie, descendait de son âne et voulait se désaltérer ; mais chaque fois qu’il approchait son visage de l’eau, celle-ci se dérobait si bien qu’il ne pouvait jamais en boire. Enfin, je me vis à la porte d’un manoir où l’on célébrait des noces dans la joie et l’allégresse. Souhaitant participer à la liesse générale, je suppliais le portier de me laisser entrer. Mais mes paroles ne servaient à rien : sourd à mes prières, l’homme me laissait tout seul, plein de tristesse et d’amertume, dans la prairie. Je suis comme toi, Gauvain, je ne comprends pas la signification de ce songe.
— Sur ma foi ! s’écria Gauvain, voilà qui est bien mystérieux ! Cependant, m’est avis que rien de bon ne nous peut arriver en ces lieux. Nous ferions mieux de repartir. » Ils harnachèrent leurs chevaux, revêtirent leurs armes et se mirent en selle. Ils n’avaient pas fait plus d’une lieue qu’ils se trouvèrent face à un chevalier revêtu d’une armure grise qui provoqua Gauvain. Le fils du roi Loth se mit en garde, et quelques instants de combat lui suffirent pour planter sa lance dans le corps de l’inconnu. Celui-ci tomba à terre, et Gauvain, s’approchant, l’entendit gémir et murmurer : « Je voudrais mourir dans une abbaye. Il s’en trouve une, non loin d’ici. Je t’en prie, chevalier, transporte-m’y, afin que je puisse mourir en paix avec Dieu. »
Profondément ému, Gauvain, avec l’aide d’Hector,
Weitere Kostenlose Bücher