Galaad et le Roi Pêcheur
déposa le blessé sur son cheval, et ils le menèrent ensemble à travers la forêt jusqu’à un vaste édifice qui paraissait abandonné. Or, quoiqu’il s’agît en effet d’une abbaye, ils n’y virent ni moine ni trace de vie. La porte de l’église était entrouverte ; ils la poussèrent et allongèrent le blessé au bas de l’autel. « Seigneur, dit Gauvain, quel est ton nom ? D’où viens-tu et pourquoi m’avoir provoqué de la sorte ? – Seigneur, répondit le mourant, c’est par orgueil que je t’ai défié. J’ignore qui tu es ; tu ne m’avais causé nul tort. Mais, n’étant qu’un bâtard, je ne voulais pas paraître inférieur à mon frère, dont la prouesse est reconnue de tous. – Mais qui es-tu donc ? insista Gauvain. – On m’appelle Yvain l’Avoutre. Je suis le fils d’Uryen, le noble roi de Rheged. Mais ma mère était une simple servante. Je n’ai donc droit à aucun titre. Seul, le roi Arthur a fait droit à mes demandes en m’acceptant comme compagnon de la Table Ronde. »
Ces paroles plongèrent Gauvain et Hector dans la consternation. « Yvain, s’écria Gauvain, pourras-tu me pardonner de t’avoir porté un tel coup ? Je suis ton cousin Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie, et voici Hector des Mares, un bon et preux chevalier qui est, comme nous deux, compagnon de la Table Ronde. – Dieu soit loué ! murmura faiblement Yvain l’Avoutre, je ne mourrai ni déshonoré, ni cerné par mes ennemis. Je suis seul coupable, Gauvain ; je t’ai agressé par orgueil, et il est juste que je paie de ma vie l’audace d’avoir défié le propre neveu de mon roi. De même est-ce par orgueil que je me suis lancé dans la quête, alors que je m’en savais pertinemment indigne. – Nous allons te soigner, reprit Gauvain, et, tu le verras, tu pourras nous accompagner et mener la quête à son terme. » Le blessé s’affaiblissait d’instant en instant. Il eut néanmoins la force de murmurer encore : « Que Dieu me pardonne et te pardonne, seigneur Gauvain, il est maintenant trop tard pour que je retienne ma vie », et il rendit le dernier soupir.
Cette mort affligea tant Gauvain et Hector qu’ils restèrent un long moment pétrifiés devant le cadavre d’Yvain l’Avoutre avant de se résoudre à soulever les dalles qui paraient le sol de la chapelle et à ensevelir le défunt. Cela fait, Gauvain referma la tombe et, de la pointe de son épée, grava sur la pierre l’inscription suivante : « Ici repose Yvain l’Avoutre, fils du roi Uryen Rheged, tué de la main de Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie, lequel ne l’avait pas reconnu. » Après quoi, les deux compagnons, dominant leur tristesse et leur chagrin, remontèrent en selle et, quittant l’abbaye abandonnée, s’engagèrent dans la forêt, toujours à la recherche de Lancelot, de Perceval, de Galaad et de Bohort.
Pendant ce temps, ce dernier chevauchait toujours à travers landes et forêts dans l’espoir de retrouver ceux qui, s’étant emparés de son frère, le maltraitaient si odieusement. Mais plus il allait, moins il découvrait de traces de leur passage, et il s’en désespérait. Un soir, il parvint à un manoir tenu par une dame veuve et y fut des mieux hébergés. Cependant, pour être fidèle à son vœu, il ne consentit à manger que du pain, à boire que de l’eau, et, la nuit venue, coucha à même le plancher de sa chambre. Le lendemain, sa route le mena en vue d’une forteresse nommée Kaerdeur qui se dressait dans une vallée, au confluent de deux rivières, et, non loin de là, lui fit croiser un valet qui courait vers la forêt. Il lui demanda s’il était porteur de quelque nouvelle. « Oui, répondit le valet. Je dois annoncer que demain, devant cette forteresse, se tiendra un tournoi merveilleux. »
Bohort n’insista pas mais, dans l’espoir d’y rencontrer quelqu’un des compagnons de la Table Ronde qui pût lui donner des nouvelles de son frère, voire Lionel lui-même, si celui-ci, sain et sauf, se trouvait dans les parages, il se promit d’assister au tournoi. Il alla donc un peu plus loin, cherchant un endroit pour passer le reste du jour et se loger pendant la nuit. Il parvint de la sorte à un ermitage où il ne fut pas peu surpris de voir, devant l’entrée de la chapelle, son frère Lionel, assis sur l’herbe et sans armes, en train de se reposer.
À la vue de celui qu’il recherchait depuis tant de jours, Bohort, tout joyeux, sauta à terre et
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