Game Over - L’histoire d’Éric Gagné
Jâappréciais beaucoup ces moments de quiétude et dâanticipation.
Je regardais le match à la télé. Mon pantalon était par terre tout près de moi. En fait, tout mon équipement restait à portée de main: mon chandail numéro 38, mes souliers à crampons, ma casquette, mes lunettes, ma ceinture. Je ne sais trop pourquoi, mais je ressentais physiquement le besoin de garder toutes les pièces de mon uniforme à proximité plutôt que de les laisser au fond de mon casier. Ma routine avait été programmée ainsi et je ne pouvais y déroger.
Je préférais regarder le match à la télévision parce que ça me permettait de mieux identifier la zone de prises de lâarbitre. Je voulais aussi emmagasiner le plus dâinformations possible, et la télévision me procurait un meilleur point de vue pour observer les tendances des frappeurs adverses. Assis au bout du banc, il était parfois difficile de déterminer si un frappeur sâétait élancé sur un lancer à lâextérieur ou à lâintérieur. Ou encore, si le lancer qui lâavait déjoué était une courbe ou une glissante.
à la fin de la cinquième manche, quand le dernier retrait des Dodgers était enregistré, je me rendais à la salle de thérapie pour faire une séance dâétirements. Par la suite, histoire dâactiver mon métabolisme, je prenais place sur un vélo stationnaire pendant une quinzaine de minutes. Toujours en regardant le match à la télé.
En sixième manche, parfois en septième, tout dépendant de lâallure du match, je mâengouffrais enfin dans le vieux tunnel longeant le côté gauche du terrain et menant à lâenclos des releveurs. Durant cette marche solitaire, il mâarrivait très souvent de croiser des rats. Il semblait y en avoir beaucoup dans les environs mais ils nâétaient pas agressifs.
Jâatteignais le bullpen par lâarrière, en empruntant les grosses portes situées près des palmiers. Dès que jây posais le pied, la frénésie sâemparait des spectateurs installés dans les gradins situés autour de nous. Par leur seule réaction, tout le monde dans le stade savait que jâétais arrivé à mon poste.
La même scène se répétait match après match. Au point où les autres releveurs de lâéquipe, comme Paul Quantrill, Guillermo Mota, Paul Shuey (et, à compter de 2003, Tom Martin) en sont venus à jouer des rôles dans mon rite préparatoire. Il existait une belle complicité et une belle solidarité entre nous. Et personne ne voulait modifier une routine ou des habitudes qui semblaient nous maintenir sur la route du succès.
Aussitôt que jâentrais dans lâenclos, tout juste avant de mâasseoir à ma place, je leur lançais toujours la même phrase:
â Whatâs up, you fuckers?
Quantrill, que nous surnommions «Q», répondait alors invariablement:
â Whatâs up, goon?
Mota, pour sa part, me lançait dâune voix calme:
â And you know itâ¦
Lorsquâil sâest joint au bullpen en 2003, Tom Martin avait aussi ajouté une phrase amusante à notre scénario. Pour souligner que jâétais toujours le dernier à me présenter dans lâenclos, il mâapostrophait sur un ton à moitié indigné:
â Nice that you show up!
Nous étions comme cinq gamins. Et pour agrémenter les innombrables heures que nous passions ensemble, nous ne manquions pas dâimagination.
Lâune des plus amusantes traditions que nous avions dans lâenclos consistait à élire le releveur par excellence de la partie et à inscrire son nom sur un mur.
Au début de chaque mois, chacun de nous déposait une centaine de dollars dans un pot. Et tout au long du mois, nous élisions un releveur par excellence à la fin de chacune de nos parties. Quand le mois prenait fin, nous faisions le décompte.
Le running gag dans cette histoire, câétait que le titre de releveur du mois (et le magot) était toujours décerné à un autre releveur que moi. Je ne suis jamais parvenu à remporter un seul titre! Jâétais celui qui amassait la quasi-totalité des sauvetages de lâéquipe mais les gars ne votaient jamais pour moi. En plus, comme
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