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Gauvain

Gauvain

Titel: Gauvain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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s’agit-il donc ? demanda Gauvain.
    — Seigneur, répondit le charbonnier, le roi de cette cité est d’une férocité qui n’a d’égal que son orgueil démesuré. En fait, il est quelque peu fondé à se montrer si rempli de morgue, car il est avéré que dans tous les royaumes à l’entour on ne trouverait chevalier qui pût l’égaler en force et en bravoure. Si tu pénètres aujourd’hui dans la Rouge Cité, tu le rencontreras en armes, près d’une fontaine. Telle est la coutume, en effet, que, quatre fois par semaine, il vienne à cette fontaine, y menant une jeune fille extrêmement belle. Je ne saurais t’en dire davantage à son sujet, mais si quelqu’un était en mesure de décrire l’ensemble de sa parure et sa perfection, il affirmerait qu’il n’y eut jamais de femme comparable à elle. Or, sache-le, seigneur, il traite cette jeune fille avec la dernière dureté. Il l’oblige à se dévêtir sous les yeux de chacun et la fait entrer toute nue dans la source glacée et sombre, ce jusqu’à la ceinture, de sorte qu’on ne voit plus d’elle que sa tête et sa gorge, plus blanche que blanche aubépine. Elle doit demeurer là toute la journée, grelottante, sans qu’il lui permette de sortir de l’eau avant la tombée de la nuit. C’est seulement lorsque le soleil a disparu qu’il l’en retire et la ramène sur le bord. Et sache encore ceci, seigneur, personne, dans l’assistance, n’ose élever la moindre protestation : il en mourrait, fût-il fils de comte ou de roi. Quelques-uns s’y sont risqués, mais le roi de la Rouge Cité les a combattus et les a tous tués. Ensuite, il a découpé leurs membres et piqué leurs têtes coiffées d’un heaume étincelant sur des pieux aigus fichés tout autour de la fontaine. Et pourtant, c’étaient tous des hommes de valeur. Ainsi, cher seigneur, te voilà prévenu : si tu te rends dans la cité, garde-toi d’élever la voix, sans quoi ta tête ira rejoindre les autres.
    — Tu m’en as déjà trop dit ! s’écria Gauvain. Je t’en remercie et te recommande à Dieu. Mais je puis t’affirmer que j’irai là-bas demander au roi de la Rouge Cité pour quelle raison il agit ainsi. J’avoue que j’en suis fort curieux ! » Et, sans plus tarder, il quitta le charbonnier et reprit sa route. Il éperonna tant sa monture qu’il franchit rapidement la montagne et aperçut la fontaine, aux abords de la ville. Il vit aussi un chevalier en armes, monté sur un destrier vigoureux et fringant. Jamais, dans le pays, il n’en avait vu de si beau. Quant à l’armure du chevalier, elle était d’un luxe indescriptible. Sa robuste lance était grosse et massive, plus rouge que le sang le plus vif, avec, à son extrémité, un fer bien acéré, et son épée, fourbie et tranchante, flamboyait également d’une magnifique couleur rouge.
    Survenant à bride abattue, Gauvain s’arrêta brusquement près de la fontaine. Il vit la demoiselle à demi immergée et fut frappé de son éclatante beauté. Il la salua, puis, se tournant vers le chevalier : « Seigneur, dit-il, pour quel crime infliges-tu un traitement si indigne à cette jeune fille ? – Si tu veux le savoir, répondit l’autre, tu n’as qu’à le lui demander, et elle te répondra. Mais, auparavant, il te faudra laisser ta vie en gage. – Tu tiens là des propos insensés, dit Gauvain. Mais je la prierai néanmoins de me raconter son histoire, par amitié et par courtoisie. » Il s’approcha donc de la jeune fille : « Pourquoi, comment et depuis quand dois-tu endurer une épreuve aussi barbare ?
    — Je te le dirai très volontiers, répondit la jeune fille de la fontaine. Apprends que ce chevalier est le roi de la Rouge Cité, mais qu’en matière de suffisance et de cruauté il ne redoute aucun rival. L’année dernière, j’étais allée me divertir avec lui en un verger. Au cours de notre entretien, il m’affirma sa conviction qu’il n’était aucun chevalier dans le royaume d’Arthur dont il ne fût capable de triompher par les armes. Or, sotte que je fus, je répliquai que, dans mon pays, les chevaliers de la Table Ronde étaient réputés les meilleurs du monde, insurpassables tant en vaillance qu’en prouesse. Il me répondit qu’il croyait les surpasser tous, et j’eus le malheur d’insister, disant qu’à ce compte les meilleurs étaient légion et qu’il était bien fou et outrecuidant celui qui s’imaginait le meilleur d’un

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