Gisors et l'énigme des Templiers
l’Ordre. De plus, si l’on analyse les événements
du procès des Templiers, on s’aperçoit que la seule personne qui ait vraiment
défendu le Temple, du moins parmi les grands de ce monde, c’est Clément V.
Il a tout fait pour étouffer l’affaire et pour contrecarrer l’action de
Philippe le Bel. Il a tout fait pour s’informer sur ce qui se passait réellement
à l’intérieur du Temple. Il a tout fait pour soustraire les Templiers à la
justice du roi. Il a tout fait pour gagner du temps et faire traîner le procès
en longueur. Il a donné leur dernière chance à Jacques de Molay et aux autres
dignitaires, et ce sont eux qui n’ont pas suivi le pape dans sa démarche. À
moins que… On peut tout aussi bien prétendre que, liés par leur serment au
pape, leur chef suprême, les quatre dignitaires aient obéi aveuglément à ce que
Clément V leur demandait de faire.
D’ailleurs, si le Temple, surtout en France, constituait un
État dans l’État, une puissance politique, financière et militaire échappant au
souverain, le pape, toujours plus ou moins en conflit avec les rois, et plus
particulièrement le roi de France, avait cette redoutable milice à sa
disposition pour faire reculer ses adversaires. Pourquoi n’a-t-il pas profité
de son autorité pour mettre en mouvement les Templiers et faire entendre raison
à Philippe le Bel ?
Il y a d’excellents arguments pour expliquer la non-intervention
du pape à ce niveau. En plein repli sur l’Europe, le Temple était en période de
flottement, et le nombre de chevaliers combattants n’était pas très élevé. Plus
importants étaient les contingents d’hommes appartenant au Temple, valets,
serfs, paysans libres, artisans divers. Si le Temple constituait une force
redoutable, elle était en fait potentielle : il
aurait fallu beaucoup de temps pour la rendre opérationnelle. D’autre part, à
ce tout début du XIV e siècle, la Papauté apparaît
comme très affaiblie. L’attentat d’Anagni et l’affaire Boniface VIII ont
porté un coup très rude au prestige de la Papauté. Rome est le théâtre de
luttes incessantes entre des factions rivales. L’Église est très divisée. Le
fait que Clément V soit obligé de s’installer à Avignon et qu’il ne puisse
même se rendre à Rome apparaît très significatif de cet état de déliquescence.
Mais alors, pourquoi le pape se serait-il privé de sa force principale, celle
qui lui restait fidèle envers et contre tous, le Temple ?
À vrai dire, le Temple était lui aussi affaibli et à la
recherche d’un nouvel équilibre depuis que le prétexte de la Croisade ne
justifiait plus son existence. C’est sans doute pourquoi Clément V a
proposé la fusion du Temple et de l’Hôpital. Mais on sait que les Templiers ont
refusé ce qui était peut-être la dernière chance de leur Ordre, et aussi du
pape. On peut alors admettre que Clément V, en abandonnant le Temple, ne
s’est privé en réalité que d’un instrument devenu inefficace, archaïque et
périmé, voire même indiscipliné. En était-il vraiment le maître sur le plan
pratique ?
Tout cela n’est qu’hypothèse et ajoute encore aux obscurités
qui ne cessent de s’amonceler autour de l’Ordre du Temple dès qu’on essaie d’y
voir un peu plus clair. À force de poser des questions qui restent sans
réponses, on ne fait que provoquer d’autres questions qui restent également
sans réponses.
Un grand-maître secret ? Probablement. Mais qui ?
On ne le sait pas. Une Règle secrète ? Oui, assurément. Mais
laquelle ? On ne le sait pas. Et où se trouve-t-elle ?
Peut-être dans les souterrains de Gisors. Qui sait ?
II
LA TÊTE MYSTÉRIEUSE
Parmi les chefs d’accusation qui ont été retenus contre les
Templiers, le plus intriguant, et celui qui laisse le plus libre cours à
l’imagination, est certainement l’accusation d’idolâtrie. C’était évidemment un
moyen commode de dénoncer les chevaliers du Temple comme hérétiques et
pratiquant des rites païens. En soi, l’accusation n’a rien d’original : on
l’a portée contre la plupart des hérétiques, sans même savoir, ou se rendre
compte, que certaines dévotions du culte catholique pouvaient être considérées
par des observateurs mal informés comme de véritables actes d’idolâtrie. Ainsi
en est-il du culte des reliques, et même de la présence de statues dans les églises :
les Musulmans en sont proprement horrifiés, eux
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