Gisors et l'énigme des Templiers
maçonnerie : « Sachez que Dieu ne fait point de différence
entre les personnes, Chrétiens, Sarrasins, Juifs, Grecs, Romains, Français,
Bulgares, parce que tout homme qui prie Dieu est sauvé. » Ceci est un
élément fort hérétique et, il faut en convenir, tout à fait contraire à la
doctrine qui dit que « hors l’Église, point de salut ». On remarquera
la présence des Bulgares, c’est-à-dire des Bougres, ancêtres des Cathares.
L’article 8 y revient en spécifiant les hérétiques : « les
Bonshommes de Toulouse, les Pauvres de Lyon, les Albigeois, ceux des environs
de Vérone et de Bergame, les Bajolais de Galicie et de Toscane, les Bégards et
Bulgares ». En somme, tous ceux qui ont eu maille à partir avec l’Inquisition.
Mais c’est aussi un appel au recrutement : « Par les chemins
souterrains vous amènerez à vos chapitres et à ceux qui concevraient quelques
craintes, vous conférerez le Consolamentum en des chapitres devant trois
témoins. » La terminologie est presque exclusivement cathare. Il est vrai
qu’on a souvent proposé de voir une nette influence cathare dans le Temple,
surtout à partir du milieu du XIII e siècle. Et ce
n’est pas Guillaume de Nogaret, traité par Boniface VIII de « fils de
Patarin » qui aurait pu dire le contraire, lui qui cherchait à faire
oublier qu’il descendait effectivement d’une famille cathare !
On remarquera aussi que les Sarrasins sont « fils de
Dieu ». Cela paraît surprenant de la part d’un Ordre qui a été fondé
spécialement contre les Musulmans, et qui, d’ailleurs,
a mené la vie dure à tous les « Sarrasins » de la Terre sainte, dans
des conditions parfois périlleuses, mais toujours avec bravoure, et même avec
témérité. On y revient d’ailleurs à l’article 9 : « Les Consolés
d’Espagne et de Chypre recevront fraternellement les Sarrasins, les Druzes et
ceux qui habitent le Liban. »
Voilà qui pose le problème du Temple et de ses rapports avec
le monde musulman. On a trop répété que les Templiers offraient l’équivalent
des Assassins ou Haschichin ,
ces fidèles fanatiques du Vieux de la Montagne, secte un peu mystérieuse à
laquelle on prête – imprudemment – des doctrines ésotériques qui, comme par
hasard, ont été perdues, ce qui est commode pour les deviner. On a trop répété
aussi que les Templiers avaient été contaminés par les Musulmans et qu’on
pourrait trouver l’origine de leur hérésie dans l’intégration de certaines
croyances ou habitudes de l’Islam dans leur propre doctrine. Ces hypothèses ne
reposent que sur de vagues analogies, mais une étude objective fait apparaître
au contraire qu’il n’y a jamais eu de pires ennemis de l’Islam – sous toutes
ses formes, sectes hérétiques comprises –, à la fois sur le terrain de combat
et sur le terrain de l’idéologie, que les chevaliers du Temple. C’est une absurdité
de croire également que les Templiers espéraient, en Terre sainte, former une
sorte de grand royaume opérant la synthèse entre l’esprit musulman et l’esprit
chrétien. Tous les documents prouvent le contraire. Et s’il y a des éléments
qu’on peut définir comme hérétiques dans le Temple, ce n’est assurément pas du
côté de l’Islam qu’il faut aller les chercher [45] .
L’article 11 est d’une grande virulence anticléricale.
Jamais un texte médiéval n’attaque les clercs de façon aussi directe et
primaire. Quand ils voulaient faire de l’anticléricalisme, les auteurs du Moyen
Âge s’y prenaient avec davantage d’astuce et leurs coups portaient beaucoup
plus loin. On se croirait presque à l’époque du « petit père Combes »
qui, lui, au moins, savait à quoi s’en tenir, puisqu’il était ancien
séminariste. Le texte est éloquent : « Il est expressément recommandé
de s’entourer des plus grandes précautions vis-à-vis des moines [46] ,
prêtres et évêques, abbés et docteurs de la science parce qu’ils agissent en
traîtres afin de rouler plus librement dans la boue de leurs crimes ». Ce
qui est étonnant, c’est qu’on recommande quand même de les accepter dans
l’Ordre, mais, attention, « sans rien leur révéler des statuts et coutumes
de l’Ordre ». Et l’article 18 insiste là-dessus : « Choses
qui doivent être rigoureusement cachées aux ecclésiastiques admis dans
l’Ordre. » On se demande alors pourquoi, en 1139, les Templiers ont
demandé
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