Gisors et l'énigme des Templiers
démontrer que telle ou telle église recelait un sens
caché pour le vulgaire, et dont, bien entendu, on s’empressait de donner la
clé. Il faut se montrer extrêmement prudent dans ce domaine. Comme l’a démontré
Élie Lambert [65] ,
non seulement la plupart des églises classées comme templières n’ont pas été
construites par les Templiers, ni même pour eux, mais les chapelles, les
forteresses, les maisons, voire certaines églises qui ont été construites par
eux, ou sous leur direction, adoptent en général le style propre de leur
époque. Ainsi trouvera-t-on des sanctuaires gothiques aussi bien que romans
sans qu’il faille en tirer la moindre conclusion. Tout ce qu’on peut dire,
c’est que les Templiers semblent avoir favorisé et encouragé l’apparition de
l’art gothique. Mais les chefs-d’œuvre du gothique n’ont rien à voir avec les Templiers,
pas plus que ceux de l’art roman d’ailleurs.
En fait, les églises à plan central, c’est-à-dire en rotonde
ou polygonales, sont l’exception parmi les constructions religieuses du Temple,
et d’ailleurs, elles ne sont pas spécifiques de l’Ordre. Les quelques exemples
connus sont des bâtiments très soignés qui se trouvent dans les commanderies
les plus importantes. En Orient, la seule qui puisse être rattachée à ce type,
est la chapelle à douze côtés de la puissante forteresse de Château-Pèlerin. C’est
d’ailleurs par référence à ce monument exceptionnel qu’on a voulu voir dans le
château de Gisors une construction templière caractéristique, orientée vers les
douze signes du zodiaque. Certes, on ne peut nier cette concordance avec le
zodiaque dans la chapelle de Château-Pèlerin, mais qu’est-ce que cela
prouve ? Les Templiers auraient-ils donc été les seuls à avoir
connaissance de l’astrologie ? Tout le Moyen Âge en est imbu, et le nombre
de monuments qu’on a élaborés en fonction des aires zodiacales ou de la
position du soleil à certaines périodes de l’année sont innombrables. Il n’y a
là rien d’original.
On sait en tout cas que la primitive église du Temple de
Paris avait la forme d’une rotonde, avec une coupole supportée par six
colonnes. Il n’en existe pas d’autre en France, mais on en trouve en
Angleterre, à Londres en particulier. Par contre, la chapelle templière de
Laon, qui est très bien conservée, a une forme octogonale bien caractéristique.
On se trouve donc en présence de deux types architecturaux. La forme
« rotonde » provient évidemment de l’ Anastasis du Saint-Sépulcre de Jérusalem. La rotonde est incontestablement chargée de
sens : c’est l’image de l’univers, et c’est aussi, au point de vue
ésotérique, le lieu même où se rejoignent toutes les énergies cosmiques,
l’équivalent de la boîte crânienne sous laquelle s’accomplissent les délicates
transmutations de la matière en esprit. Mais ce genre d’édifice n’a eu, dans
l’Ordre du Temple, qu’une diffusion très restreinte : on ne peut donc pas
prétendre qu’il s’agit d’un style templier, ni même d’un style imposé par les
Templiers.
Il en va de même pour les églises de forme polygonale qui
n’ont plus rien de commun avec le Saint-Sépulcre. On a cru pouvoir les
rattacher au modèle du Temple du Seigneur de Jérusalem, la fameuse Coupole du
Rocher, laquelle a la forme d’un octogone. Là encore, le symbolisme est
net : le nombre huit est traditionnellement affecte à l’idée de
résurrection, et c’est pourquoi cette architecture octogonale est fréquente
dans les chapelles funéraires des cimetières, et d’une façon générale dans tous
les sanctuaires bâtis à la mémoire d’un saint ou d’un martyr. Les Templiers,
pour des raisons qui nous échappent, ont volontiers adopté ce type
d’architecture, mais on ne peut pas dire qu’il soit spécifique de l’Ordre. Si
l’on fait le recensement des églises ou des chapelles construites par les
Templiers, ou sous leur direction, on constate que la forme en rotonde et la
forme octogonale ne sont que des exceptions, d’ailleurs tout à fait remarquables.
Quelle est donc la construction type de l’Ordre du
Temple ? Une forme rectangulaire très simple. En admettant qu’il existe un
style templier, celui-ci se distinguerait par une extrême simplicité, voire un
dépouillement confinant à l’austérité. Cela nous rappelle que, dans ses débuts,
le Temple s’est trouvé dans la mouvance
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