Gisors et l'énigme des Templiers
Louis Régnier, à
qui nous devons la description de la trouvaille, donne une réponse : « le
retable faisait partie d’une chapelle Sainte-Catherine, située au sud de la
nef, construite vers les années 1530 et détruite après 1629. En effet, à
cette date de 1629, un potier d’étain nommé Antoine Dorival a composé un poème
dans lequel il décrit cette chapelle avec « une table d’autel toute battue
d’or » dont il énumère les sujets. « Au nombre de ceux-ci, nous
trouvons, comme dans nos sculptures, Jésus et la Vierge, la scène du Jardin des
Oliviers et sainte Madeleine ; mais on y voyait aussi la rencontre avec la
Samaritaine et l’incrédulité de saint Thomas, tandis que l’auteur ne parle ni
des priants, ni de saint Pierre, ni de l’entrée à Jérusalem. » Et Louis
Régnier de citer le poème d’Antoine Dorival :
« Or, l’éclat lumineux qui réverbère encor
De la table d’autel, toute battue d’or,
Brille si clairement que toute la chapelle
Ressemble un point du jour ou l’aurore la belle.
Près du puits de Jacob, l’amoureux des humains,
Se repose, lassé, où des Samaritains
Il arrive une femme, à qui ce Dieu de gloire,
Comme nécessiteux, humble, demande à boire,
Qui, le lui refusant, reçut de sa bonté
De l’eau prise au surgeon de sa divinité…
Hors du tombeau sortir Jésus ressuscité.
Mais, ô chère Uranie ! arrête un peu la
course,
Et, comme tu as pris la Vierge pour ton Ourse
Dès le premier instant de ton embarquement,
Prends son Fil pour nocher. »
Le poème d’Antoine Dorival n’a rien d’original : il est
dans le ton des salons précieux de l’époque, et il n’y manque même pas
l’allusion à Uranie si chère à Vincent Voiture, à Malleville et aux autres
habitués du salon de madame de Rambouillet ou de mademoiselle de Scudéry.
Plutôt que d’y voir un cryptogramme, il vaudrait sans doute mieux le considérer
comme un élégant badinage à la mode du temps sur un sujet vaguement religieux.
Mais le « Fil pour nocher », la « Vierge Ourse » et les
différentes citations bibliques sont une excellente nourriture pour tous ceux
qui veulent découvrir des clefs ésotériques même là où il n’y en a pas. Le
poème de Dorival est donc devenu un texte sacré pour retrouver le chemin du
Trésor de Gisors, qui ne peut évidemment se trouver que dans la chapelle
Sainte-Catherine…
Ce qui est commode, c’est que cette chapelle n’existant plus
on peut lui faire dire tout ce que l’on veut. D’ailleurs, si elle n’existe
plus, c’est qu’on l’a fait sciemment disparaître parce qu’on ne voulait pas que
les « secrets » qui y étaient déposés soient répandus à la surface du
monde. Le complot universel est encore présent. L’intervention des puissances
occultes aussi. Le manuscrit de Dorival, connu seulement par le fragment publié
par Louis Régnier, s’est soi-disant volatilisé des archives de l’Eure où il se
trouvait. Quant au retable découvert en 1898, il est introuvable. Il ne reste
comme preuve de son existence que la description de Régnier et une
photographie. Tout cela est évidemment bien étrange, mais n’autorise nullement
certains à prétendre que, dans ce retable, « dort un secret que seuls,
jusque-là, les initiés pouvaient déchiffrer ». Ce qui est agaçant
lorsqu’on parle d’ initiés , c’est qu’on se garde bien de
nous préciser à quoi ils sont initiés. Cela permet en
tout cas de faire semblant d’être « au parfum » comme on dit, et de
présenter comme réalités de simples hypothèses de travail. De toute façon, la
chapelle Sainte-Catherine de Gisors a bel et bien existé. On l’a démolie pour
des raisons qui nous échappent, et il est probable que les fragments de retable
découverts en 1898 n’ont pas été perdus pour tout le monde : il y a des
collectionneurs d’objets d’art fort discrets.
Le nœud de l’affaire du trésor de Gisors est un certain
Roger Lhomoy, celui qui a été l’informateur de Gérard de Sède pour son livre Les Templiers sont parmi nous . D’après les témoignages,
quelque peu contradictoires, le concernant, il apparaît que ce personnage, mort
dans la misère en 1974, a été un passionné de la chasse aux trésors. Dans sa
jeunesse, il aurait pratiqué des fouilles clandestines un peu partout dans le
Vexin, et aurait vendu à des amateurs les curiosités qu’il avait découvertes.
Mais ces activités, très
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