Gisors et l'énigme des Templiers
l’amena à fonder son propre Rite, celui de
Memphis [14] . »
Or, de quoi s’agit-il exactement ? Selon cet écrivain
(Marconis), l’apôtre saint Marc aurait converti au christianisme un
« prêtre séraphique » nommé Ormus résidant à Alexandrie. Ormus, avec
six de ses collègues, aurait créé en Égypte une société initiatique des Sages
de la Lumière. Les Esséniens se seraient liés à Ormus et à ses disciples
jusqu’en 1118, date à laquelle ils auraient communiqué leurs secrets aux
chevaliers de Palestine, Garimont étant alors patriarche de Jérusalem. Un ordre
de maçons orientaux s’installa à Édimbourg en 1150 et ce n’est qu’en 1814 qu’il
fut introduit en France par un personnage inconnu, Samuel Honis. Marconis, de
1839 à 1854, reviendra sur cette légende, modifiant de lui-même le nom d’Ormus
en Ormésius. Sur ces bases, Marconis établit en 1839 le Rite Oriental de
Memphis, comportant quatre-vingt-quinze degrés, l’Hiérophante occupant le
quatre-vingt-seizième [15] .
Les Templiers sont singulièrement absents de la légende colportée par
Jacques-Étienne Marconis de Nègre. Le Prieuré de Sion également. Mais il est
facile d’entrevoir la manœuvre : il suffisait de remplacer les
« maçons orientaux » qui s’installèrent à Édimbourg par les moines
s’établissant à Saint-Jean-le-Blanc. Le tour était joué, et le Prieuré de Sion pouvait
voler de ses propres ailes, perdurer à travers les siècles et donner même –
pourquoi s’en priver – des explications logiques sur la création du Temple [16] .
Il est souvent utile de découvrir au fond des bibliothèques des livres ou des
manuscrits que personne ne connaît, ou dont personne n’ira vérifier le contenu.
Cela permet de les exploiter, mais d’une façon que leurs auteurs n’avaient
généralement pas prévue.
Que faut-il penser de cette histoire revue et
corrigée ? Une réaction immédiate s’imposerait : ranger tout cela
dans la catégorie des fictions, comme pour le Masque de Fer ou pour le
malheureux Louis XVII. Mais c’est trop facile. Il ne suffit pas de rejeter
une thèse discutable pour éliminer l’énigme qu’elle tente d’expliquer. Et,
comme le dit le proverbe populaire, il n’y a pas de fumée sans feu.
Ce qui est irritant dans l’histoire probablement truquée du
Prieuré de Sion, c’est qu’on ne parvient pas à savoir dans quel but cette
opération a été montée. Qu’il y ait eu, lors de la fondation de l’Ordre du
Temple, la présence discrète d’un Ordre antérieur, c’est tout à fait possible.
Qu’il y ait eu action personnelle de Godefroy de Bouillon dans la constitution
de cet Ordre mystérieux, c’est parfaitement admissible. Le personnage de
Godefroy de Bouillon demeure pour le moins étrange. Il ne faudrait pas oublier
que lui-même, ou ceux qui l’entouraient, ont répandu l’affirmation qu’il était
le descendant de Lohengrin, le fameux chevalier au cygne, qui était le fils de
Parzival. Godefroy de Bouillon a voulu consciemment – ou on a voulu pour lui –
se rattacher à une lignée prestigieuse, celle du Graal. Ce n’était pas une
exception : les Lusignan ont tout fait pour descendre de la mystérieuse
Mélusine, et Henry II Plantagenêt aurait bien voulu qu’on le considérât comme
l’héritier du roi Arthur.
La thèse du Prieuré de Sion, quel que soit réellement ce
Prieuré, repose nécessairement sur quelque chose, même si certains documents
présentés paraissent peu dignes de foi. Alors, dans ces conditions, pourquoi ne
pas envisager l’hypothèse suivante : l’affaire de Gisors aurait été montée
de toutes pièces pour déclencher des recherches et peut-être pour permettre la
découverte de documents, authentiques ceux-là, et qui se trouveraient enfouis
dans les souterrains de Gisors ? Ainsi s’expliquerait l’acharnement de
Roger Lhomoy à entreprendre des fouilles. Ainsi s’expliquerait la relation
entre le Trésor de Gisors et les Templiers. Ainsi s’expliquerait l’opportune
publication des « dossiers secrets » du Prieuré de Sion. Le tout, dans
cette affaire, est de savoir qui manipule qui.
Gisors est le nœud d’un inextricable écheveau de
probabilités, d’incertitudes et de suppositions. Mais c’est aussi le carrefour
où se croisent tous les chemins qui pourraient conduire à une explication
cohérente de l’énigme du Temple. Il n’y a pas, ou plutôt il n’y a plus, de
chapelle
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