Gisors et l'énigme des Templiers
volonté farouche de secret
qui a été dommageable aux Templiers, car, lors du procès de 1307, on n’a pas
manqué de le leur reprocher et d’en faire un élément, sinon d’accusation, du
moins de doute quant aux véritables motivations du Temple.
Ce détail est d’autant plus surprenant que la Règle et ses
« retraits » semblent avoir été fort répandus. Toute maison templière
importante devait en posséder un manuscrit. Lors du procès, un frère chapelain
du Mas Deu présenta à l’évêque d’Elne et aux membres de la commission « le
susdit livre de la règle, qu’il avait fait apporter de la maison du Mas Deu, et
qui commence ainsi en roman (c’est-à-dire en catalan) : quam
cel proom requer la companya de la Mayso … ». On connaît un
exemplaire de la règle en français qui a été trouvé à Baltimore, aux
États-Unis, dans un fonds de bibliothèque. Il provient vraisemblablement de la
maison templière de Dauges, près de Douai (Nord), et au texte de la règle, est
ajouté un poème dans le ton des trouvères de l’époque courtoise. Cette
cohabitation ne semble pas très conforme à la Règle du Temple, mais c’est
ainsi : on peut en conclure d’ailleurs que les Templiers qui se sentaient
aiguillonnés par la Muse pouvaient se laisser aller à leurs penchants et
composer de la poésie amoureuse en dépit de leurs vœux religieux. Cela
donnerait raison à certaines traditions populaires qui font des Templiers des
coureurs de filles impénitents. Mais cela n’en prouve pas moins que l’accès à
la Règle du Temple devait être très facile. Alors, pourquoi ce secret ?
Pourquoi cette crainte de voir cette Règle tomber dans des mains profanes au grand
dommage de « notre religion » ?
Il n’y a pas de réponse. À moins que l’on ne suppose
l’existence d’une Règle secrète. Mais ce n’est pas d’une Règle secrète qu’il
est question ici : il s’agit bel et bien de la Règle officielle, celle qui
a été répandue partout et dont nous possédons à l’heure actuelle une douzaine
de manuscrits. De plus, cette Règle a été officiellement connue en dehors de
l’Ordre, puisqu’elle a influencé fortement les règles des autres ordres
militaires. Certains détails de la règle des Hospitaliers, notamment ceux qui
concernent les chapelains, le chapitre et les dignitaires, supposent une
influence directe du Temple et de Cîteaux. Quant aux Chevaliers de l’Hôpital
Sainte-Marie-des-Teutoniques, qu’on appelle couramment les Chevaliers teutoniques,
ordre à la fois militaire et charitable, ils ont reçu, en 1198, comme modèle de
règle, celle de leurs frères mais néanmoins rivaux, les Templiers. Alors, à
quoi rime cette manie du secret ?
Cela n’empêche pas l’Ordre du Temple de grandir. Ses
ramifications s’étendent partout. La fameuse « toile d’araignée »
s’est accrochée fermement sur l’ouest du continent européen. Et, bien sûr, au
fur et à mesure que le Temple s’accroît, il dévie de la voie que lui avaient
tracée ses fondateurs et Bernard de Clairvaux lui-même. Déviance due
essentiellement à la richesse prodigieuse qui le caractérise.
Le Temple est en effet devenu la première puissance
financière du XIII e siècle. Certes, selon la
règle primitive, aucun Templier ne peut posséder de biens matériels pour son
propre compte. Le grand-maître Arnaud de la Tour Rouge avait fièrement répondu
aux Musulmans qui lui réclamaient une rançon : « Un Templier ne peut
donner comme rançon que sa ceinture et son couteau d’armes. » La règle de
pauvreté est toujours en vigueur. Mais quand il y en a pour tous, il y en a
nécessairement pour un. Après tout, les Templiers étaient des hommes comme les
autres, même s’ils ont voulu se placer délibérément dans une certaine
marginalité. On a calculé qu’à la fin du XIII e siècle,
l’Ordre du Temple possédait à peu près neuf mille établissements et on a tenté
d’évaluer sa fortune mobilière : on en est arrivé à un chiffre de quelque
130 milliards de nos francs actuels. Et s’il y a peut-être surestimation
(l’équivalence entre le XIII e siècle et notre
époque est toujours très délicate à établir), on doit quand même reconnaître
que, dans un temps où la pauvreté dominait le monde, l’Ordre avait accumulé une
richesse considérable, et qui, la Terre sainte ayant été perdue, ne servait
plus à rien, tout au moins dans la vision de sa
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