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Gondoles de verre

Gondoles de verre

Titel: Gondoles de verre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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existence qu’elle détestait. En même temps, elle se méprisait de ne pas trouver la force de tout abandonner pour le rejoindre.
    À quel moment le colonel – doué du flair des marginaux – avait-il compris ce qui se tramait ? Et quand avait-il décidé de garder pour lui ce qu’il savait ? Par ailleurs, se serait-il tu si elle n’avait pas deviné qu’une réalité tout autre se cachait derrière son masque de soldat modèle ? Que lui aussi devait à tout prix préserver un secret ? Tous les esprits profonds aiment le masque, pensa-t-elle. Ils n’en avaient jamais parlé, mais – silence contre silence – ils se couvraient discrètement. Il allait de soi qu’elle n’aurait emmené personne d’autre à Venise.
    De temps en temps, elle se demandait si elle était la seule à connaître le secret si bien gardé du colonel Orlov ou s’il s’agissait d’une de ces innombrables impostures dont tout Rome était au courant, mais que personne n’évoquait – comme le fait que François II était un raté et qu’il ne retrouverait jamais le trône des Deux-Siciles. Parfois, songeait-elle, on pouvait avoir l’impression que les fortunes dépensées par son mari dans la lutte contre les Piémontais ne lui servaient qu’à se tromper lui-même sur la vanité de ses ambitions.
    Le colonel Orlov ne lui ressemblait-il pas d’une certaine manière ? Toute son attitude, ses allures martiales ne constituaient-elles pas un gigantesque camouflage visant à tromper les autres et parfois aussi – soupçonnait-elle – à se tromper lui-même ?
     
    Quand sa femme de chambre annonça le commissaire, peu avant onze heures, elle fut prise de l’espoir fou qu’il venait lui annoncer une bonne nouvelle. Mais dès qu’il eut franchi le seuil de son salon, elle lut dans son regard qu’elle s’était trompée. Elle accourut dans sa direction d’un pas très peu majestueux et demanda, l’air tendu :
    — Alors ?
    Cet accueil frisait la grossièreté. D’un autre côté, il conférait d’emblée à leur rencontre un caractère familier que le comte pouvait, s’il le souhaitait, interpréter comme une allusion bienveillante au rapport presque intime qui s’était noué entre Sissi et lui deux ans auparavant. Le commissaire s’inclina de façon respectueuse et sourit d’un air entendu, comme s’il avait lu dans ses pensées. Puis il prit une mine désolée et alla lui aussi à l’essentiel :
    — C’est un faux, Majesté.
    — Donc, il est vrai qu’il n’existe pas une copie, mais deux.
    — Oui, hélas. Et par conséquent, il paraît probable que le grand-prince ait dit la vérité.
    Tron fit un pas pour sortir du rectangle de lumière vive dans lequel il s’était arrêté par inadvertance et demeura dans l’ombre.
    — Kostolany semble avoir acheté l’une des deux copies il y a deux mois. Nous pensons que, dans un premier temps, il l’a peut-être tenue pour l’original. Mais après avoir constaté son erreur, il l’aurait revendue à Troubetzkoï.
    — De ce fait, le grand-prince est lavé de tout soupçon.
    Tron approuva.
    — En tout état de cause, le tableau que nous avons saisi sur le brick du consul n’est pas celui que vous avez laissé au palais da Lezze.
    — Et ce prêtre ? demanda-t-elle.
    — Vous savez qu’il a eu un… accident ?
    — Oui, dit la reine. Le colonel Orlov m’a raconté. Il suppose qu’après ce décès, vous allez clore l’affaire.
    Tron esquissa un sourire poli.
    — Pourquoi le devrais-je ?
    Elle le regarda droit dans les yeux.
    — Les explications du colonel m’ont paru limpides. Il y a deux mois, le père Terenzio a vendu la copie secrète à Kostolany. Lorsque nous sommes arrivés à Venise, le marchand d’art l’aura sans doute prévenu sur-le-champ et aura réclamé une forte somme pour prix de son silence. Le père Terenzio, ne pouvant sans doute pas se le permettre, a tué Kostolany et emporté le Titien pour faire croire à un crime crapuleux. Après son accident, il ne sert plus à rien de poursuivre l’enquête.
    Tron s’empressa de la contredire :
    — Le père Terenzio n’est pas bêtement tombé de l’échafaudage. On l’y a aidé. Sa mort devait ressembler à un accident, mais c’était un meurtre.
    Le commissaire nota au passage que, cette fois, la reine ne perdait pas connaissance – contrairement au jour où elle avait appris la disparition du Titien. Elle se contenta de lui demander d’un ton sec :
    — Et qui aurait bien pu le tuer

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