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Grand-père

Grand-père

Titel: Grand-père Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marina Picasso
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s’allonger sur le sable avec ses bikinis
et sa bande de voyous.
    Le bonheur malgré elle. Le bonheur malgré tout.
     
    Le téléphone a sonné dans la nuit. Réveillés en sursaut, Pablito
et moi retenons notre souffle.
    Nous savons que c’est notre père. Comme à son habitude, il
doit appeler d’un bar. Trois sonneries, quatre sonneries. Le silence. Dans sa
chambre, ma mère a décroché.
    — Tu crois qu’il veut nous voir ? chuchote Pablito.
    Je me tais. J’aimerais que ce soit vrai.
    Levés de bon matin, nous nous affairons à ranger la cuisine :
vaisselle à laver, serpillière à passer sur le sol, linge à étendre sur le
balcon.
    Maintenant, nous préparons le petit déjeuner de notre mère :
plateau, tasse, théière, sucre. Non, pas de sucre, le sucre fait grossir. Nous
consultons le réveil. Neuf heures. Deux heures à tuer avant de la réveiller.
    Alors, nous attendons et n’osons pas bouger.
    Au téléphone, c’était bien notre père.
    — Il se rappelle qu’il a des enfants, a bougonné notre
mère. Il a dit qu’il passerait vous prendre.
    — Quand ?
    — À une heure. En bas de la maison.
    En bas de la maison. Il n’a plus le droit de monter. Plus
jamais nous ne pourrons lui montrer notre chambre, le château fort que Pablito
a construit dans une boîte à chaussures, nos cahiers d’écoliers, les dessins
que nous avons accrochés aux murs.
    Il est indésirable. Plus jamais nous ne pourrons partager
avec lui notre univers d’enfants.
     
    La Californie , l’attente devant la grille, les pas du
vieux concierge, la clef dans la serrure et ces mots-couperet :
    — Vous aviez rendez-vous ?
    La cour et ses graviers, le perron, le cerbère Jacqueline
Roque :
    — Monseigneur prend sa douche. En attendant, jouez dans
le jardin.
    Le ton de sa voix est bourru, arrogant. Elle est maître des
lieux. Nous devons obéir.
    Suivis du teckel Lump, Pablito et moi marchons main dans la
main. Nous n’osons pas courir, encore moins nous parler. Monseigneur prend sa douche. Nous ne devons pas perturber cet instant solennel.
    Notre père nous suit, cigarette au bec. Il avance, dos voûté,
au milieu des statues livrées aux herbes folles. Au passage, sa main moissonne
un brin de lavande qu’il porte à ses narines. Quel en est le parfum ? Celui
de sa petite enfance ? Celui de cette époque où Picasso le respectait
encore ?
    J’abandonne Pablito pour venir le rejoindre et glisse ma
main dans le creux de la sienne. Je l’aime. Il est mon père.
     
    Nous sommes dans l’atelier où grand-père nous reçoit en
caleçon, un caleçon de coton lâche d’où débordent ses attributs : outrage
à la petite fille de huit ans que je suis et, plus tard, à la jeune fille de
dix-sept ans qu’au crépuscule de sa vie il recevra de la même manière.
    Outrage ou provocation ? Non, je pense que ça ne le
gênait pas, à soixante-seize ans, de se montrer ainsi, devant moi, la
cuisinière ou la jeune femme de ménage. Son sexe était comme ses pinceaux, ses
arêtes de poisson amassées dans son assiette, les crottes d’Esméralda
éparpillées çà et là, les monceaux de boîtes de conserve rouillées entassées
sur le sol. Queue, pinceaux, arêtes, crottes, boîtes rouillées faisaient partie
de son œuvre, du volume Picasso que tous devaient admettre. Même si cela
choquait.
    La datte, la figue et la noix consacrées par ses doigts, un
éclat de rire énorme et, tout de suite, cette leçon de choses. Absurde, irrationnelle :
    — Apprenez, les enfants, que l’on peut vivre très bien
en se passant de tout. De chaussures, de vêtements et même de nourriture. Regardez,
moi, je n’ai besoin de rien.
    Pablito et moi rougissons jusqu’à la racine des cheveux. Notre
mère lui aurait-elle envoyé une lettre pour se plaindre ? Va-t-il refuser
de verser la pension à notre père ? Une fois de plus, nous nous sentons
coupables.
    Et c’est vrai qu’il n’a besoin de rien avec son maillot de
marin déchiré, ses caleçons mal ajustés, ses espadrilles usées jusqu’à la corde.
De quoi devrions-nous nous plaindre ? Notre grand-père est comme nous. Un
pauvre. Seule différence, lui a une masse de sous alors que, ce soir, une fois
de plus, nous mangerons des pâtes.
    — L’essentiel, enchérit-il, radieux, l’essentiel est de
faire ce que l’on a envie de faire.
    Mon père a reçu la phrase de plein fouet. Il baisse le
regard et bredouille.
    — Pablo, j’ai rapporté de Paris les

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