Grands Zhéros de L'Histoire de France
douce blanchi sous le harnais, n’ayant pas commandé de navire depuis vingt-cinq ans, pistonné par son tonton et mentant sur son âge… Voici un destin de zhéro qui s’engage sous de très prometteurs auspices ! Et, de fait, le voyage à Dakar qui aurait dû être une simple formalité d’une quinzaine de jours tout au plus va tourner à la tragédie absolue, un drame dont les péripéties gastronomiques, hélas bien connues, ne furent pourtant pas les plus dramatiques des rebondissements. Mais plutôt que de nous attarder sur l’art d’accommoder les restes, assimilé à contrecœur par les infortunés passagers du radeau, nous nous concentrerons ici sur les bourdes à répétition de notre zhér’eau de mer.
En plus de la Méduse , l’expédition dirigée par Chaumareys se compose de trois bâtiments qui voyageront de conserve : la flûte la Loire , la corvette l' Écho et le brick l' Argus . Le 17 juin 1815, le convoi quitte l’île d’Aix. À bord de la Méduse embarquent trois cent quatre-vingt-quinze personnes, marins, soldats et colons, mais aussi le futur gouverneur du Sénégal, le colonel Julien Schmaltz, voyageant avec son épouse et sa fille.
Le voyage s’annonce comme une vraie promenade de santé : on prend l’air sur le pont, on parle météo. En passant au large de Ténériffe, l’un des passagers s’engage dans des considérations sur la bataille de Trafalgar, expliquant doctement que si Villeneuve n’avait pas trahi, la flotte française eût remporté haut la main la bataille ! N’avons-nous pas écrit que le suicide de Villeneuve ne suffirait pas à laver son honneur ? Dix ans plus tard on parle encore de sa trahison à bord de la Méduse !
L’atmosphère à bord va se dégrader très rapidement, et pour cause : Chaumareys ne sait pas faire le point, ne sait ni contrôler ni fixer les caps, il semble avoir tout oublié de la navigation. Pire, selon Éric Emptaz, auteur de La Malédiction de la Méduse , non seulement Chaumareys a oublié le nom des voiles, mais il boit du matin au soir. Poursuivant dans cette même veine « nuancée », Emptaz qualifie le commandant de la Méduse de « baderne gonflée d’orgueil et de vinasse ». Les incidents se multiplient : un mousse tombe à la mer et se noie malgré les efforts de l’équipage pour le récupérer, puis Chaumareys refuse lors d’une escale à Ténériffe d’embarquer six malheureux prisonniers français aussi désespérés que décharnés, retenus par les Espagnols depuis huit ans. Et pour couronner le tout, Chaumareys entretient des relations exécrables avec ses subordonnés qu’il méprise et dont il n’écoute jamais les conseils.
Il accorde davantage de crédit à l’avis de passagers qui n’y connaissent rien qu’à ses seconds qui sont des marins chevronnés. La tension monte, notamment avec les lieutenants Espiaux et Reynaud, qui détestent Chaumareys et entretiennent à bord un laxisme généralisé. Bientôt la division (c’est ainsi que l’on désigne un convoi de plusieurs bâtiments) approche de l’Afrique. À bord, certains ont déjà fait ce voyage et encouragent leur commandant à éviter de longer les côtes où les courants sont dangereux, les récifs et les bancs de sable à éviter nombreux, et à prendre plus au large une route plus longue mais moins périlleuse.
Rien à faire ! L’entêtement n’étant pas le moindre défaut des ratés que nous avons jusqu’à présent passés en revue, Chaumareys ne veut pas en entendre parler. Tout comme l’exigera un siècle plus tard Bruce Ismay, l’armateur du Titanic , il veut arriver le plus vite possible et couper au plus court. Alors que, lorsque des bâtiments progressent en division, le bateau le plus rapide doit toujours s’aligner sur le plus lent, Chaumareys file devant, distancie et perd bientôt de vue les autres navires. Une décision qu’il regrettera bientôt amèrement.
Convaincu d’avoir magistralement évité le banc d’Arguin, immense banc de sable au large de la Mauritanie, le perspicace capitaine met le cap droit dessus ! C’est un tel entêté que même lorsqu’il paraîtra évident à tout le monde que la Méduse naviguait à présent sur des hauts-fonds, il ne changera pas de cap ! Autant courir vers un gouffre les yeux bandés ! Chaumareys aurait-il pu éviter le banc d’Arguin sur lequel il échoue la Méduse ? « Oui ! » considère Eric Emptaz, rappelant dans son livre que le banc était indiqué sur les
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