Grands Zhéros de L'Histoire de France
d’autres coups d’État ont déjà bien marché, non ? Ceux du 18 brumaire et du 2 décembre en particulier ; alors pourquoi pas un coup d’Etat du 27 janvier ?
À cette minute, Boulanger est au faîte de sa gloire : un mot de lui et tout peut basculer ! Face à lui, rien ni personne, une république chancelante ! Ses amis croient depuis le début à sa victoire et le supplient de marcher sur l’Elysée à la tête de cette foule en liesse qui le réclame. C’est l’heure, c’est le moment, le pouvoir va lui tomber entre les mains comme un fruit mûr. Ainsi que l’écrivait Victor Hugo : « Rien n’est plus fort qu’une idée dont l’heure est arrivée », aujourd’hui et maintenant, c’est l’heure du boulangisme !
Mais Boulanger hésite, il ne sait plus trop quoi penser. Fidèle à son habitude lorsqu’il est dans l’expectative, il laisse tout le monde en plan pour se précipiter chez sa maîtresse, Marguerite de Bonnemain, jolie trentenaire dont il est fou amoureux. Tandis que « Napoléon perçait sous Bonaparte », c’est hélas un zhéro qui perce sous Boulanger ! Alors que la France se donne à lui, il court tel un caniche rejoindre sa maîtresse. Il est vrai que cette amoureuse égoïste et exigeante le domine et peut tout obtenir de lui. N’a-t-il pas tenté, pour pouvoir l’épouser, d’obtenir du Vatican l’annulation de son mariage et ce, contre l’avis de ses amis catholiques ? Le journaliste du Figaro auteur du livre Dans les coulisses du boulangisme (livre de 1890 où Mme de Bonnemain n’apparaît pas sous son nom) résume cela ainsi : « Après beaucoup d’aventures, il trouva son maître, Mme de X… Il l’aima avec une fidélité et une constance qui étonna ses amis […]. Comme une aiguille aimantée qui a trouvé le nord, il se fixa. » Voici donc que la baudruche se dégonfle, que le condor devient cacatoès ! Boulanger est tyrannisé par sa jeune maîtresse et il aime ça !
Ses partisans sont effondrés ! D’autant que lorsque leur zhéro revient de sa consultation auprès de Marguerite, c’est pour exprimer sa réticence à faire quoi que ce soit en dehors de la légalité : « Scrupules, timidité instinctive du militaire devant le pouvoir civil, certitude de parvenir à son but par des voies légales, crainte de perdre en un coup de force manqué cette popularité et cette vie facile dont il jouit présentement, influence de Mme de Bonnemain, qui dans son égoïsme d’amoureuse désire garder tout à elle son amant et craint de le voir accéder au pouvoir suprême ? » (Fresnette Pisani-Ferry).
Quoi qu’il en soit, après avoir consulté l’autorité « incompétente » de sa maîtresse, ainsi qu’un président de la République aurait consulté le président de l’Assemblée nationale avant une dissolution, Boulanger renonce à prendre le pouvoir, alors qu’il se consacre depuis des mois à tenter de le conquérir. Plus tard il justifiera son inertie en invoquant le traumatisme de son père, fervent bonapartiste qui n’avait jamais pardonné à Napoléon III son coup d’Etat : « Je n’ai jamais pu oublier cette répugnance invincible d’un honnête bourgeois pour la force », écrira-t-il.
N’ayant rien fait, rien décidé, notre zhéro se fait conduire rue de Berri chez Mme de Bonnemain, tandis que la foule déçue se disperse. Le président de la République est prévenu que tout danger est écarté, M. Boulanger étant allé se coucher. Apprenant cela, Constans, ministre de l’Intérieur, aurait dit : « Quel c… ! »
Le lendemain matin, rien n’est encore perdu. Déroulède lui propose de marcher sur le Palais-Bourbon avec deux cent mille ligueurs. Mais, pas plus que la veille, Boulanger n’est décidé à lever le petit doigt. Pire encore, alors que tout Paris est en effervescence et que tout est encore possible, il disparaît plusieurs jours. Apparemment, il ne se trouve plus à Paris. Où donc est-il ? Bientôt, on apprend par des rapports de police qu’il a quitté Paris avec une dame. En effet, le 31 janvier, Boulanger a pris le train pour Royan avec Mme de Bonnemain.
Ainsi donc, tandis que la France entière retient son souffle, que ses partisans attendent ses ordres, lui roucoule avec sa maîtresse à Royan, à l’hôtel des Marronniers. Il juge sa présence inutile à Paris et s’imagine que les élections le porteront au pouvoir en septembre prochain. Mais l’occasion ne se retrouvera pas ! L’auteur anonyme des
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