Hasdrubal, les bûchers de Mégara
d’évacuation graduelle ? tonna un ami d’Azerbaal. Ils doivent
nous rendre la totalité des terres indûment occupées et payer des réparations
pour les dommages causés à nos concitoyens dont les demeures et les champs ont
été dévastés.
— Ce
serait effectivement justice mais politiquement maladroit. Nous devons agir par
étapes afin de prouver notre bonne volonté. Rome nous saura gré de ne pas
envenimer un peu plus la situation et elle nous permettra, par la suite, de
récupérer l’intégralité de nos domaines quand les Numides auront reconnu
publiquement avoir violé les traités signés par eux.
— Tu
nous proposes de ménager nos ennemis alors que nous pouvons les briser à tout
jamais, vociféra mon père Mutumbaal, rompant ainsi publiquement son alliance
avec Hannon le Rab. J’en appelle à vous, illustres sénateurs. Trop longtemps,
Carthage a dû subir la loi du vainqueur et remplir envers ce dernier des
engagements qui ont lourdement grevé le Trésor de notre cité. Nous nous sommes
montrés des partenaires loyaux, trop loyaux, de Rome et de ses alliés et nous
n’avons obtenu pour toute reconnaissance de notre prudence que sarcasmes,
insultes et traitements iniques. Il est temps, grand temps, pour notre cité de
relever la tête et de faire savoir que Carthage est à nouveau Carthage. Je
propose donc, fit Mutumbaal, que nous avertissions Gulussa et Micipsa de notre
refus de les recevoir tant que nos soldats n’auront pu réinstaller leurs
garnisons dans leurs anciennes forteresses. A ce moment-là et seulement à ce
moment, nous accepterons de négocier avec eux un nouveau traité destiné à
garantir les droits des uns et des autres.
— J’appuie
cette proposition, fit l’ami d’Azerbaal. C’est la voix de la sagesse et cela
nous permettra de gagner un temps précieux pour renforcer nos défenses et
recruter les mercenaires dont nous pourrions avoir besoin si la situation
connaissait de nouveaux rebondissements.
En dépit
des efforts déployés par Hannon le Rab, la solution proposée par mon père fut
adoptée à une très large majorité. Le soir même, j’eus avec lui, pour la
première fois depuis longtemps, une conversation sérieuse. Contrairement à l’habitude,
je fus le premier à prendre la parole :
— Je
te remercie de ton intervention qui a fait basculer dans notre camp bien des
hésitants. Toutefois, nous ne pouvons nous arrêter à cette première victoire.
Ma conviction est que nous ne parviendrons jamais à un accord avec les Numides
et qu’il faut nous débarrasser de cette engeance maudite prête à offrir ses
services à Rome. Avec eux, la guerre est inéluctable.
— Que
suggères-tu ? demanda Mutumbaal.
— Bythias,
notre complice, nous a offert un prétexte en or en attaquant le village de nos
malheureux compatriotes. Je redoute qu’Hannon le Rab, mécontent de ta trahison,
ne cherche à trouver par tous les moyens un accord avec Masinissa. Il nous faut
donc créer l’irréparable en tendant une embuscade à Gulussa et à Micipsa alors
qu’ils seront sur le chemin du retour. Mes soldats leur infligeront de lourdes
pertes tout en prenant soin d’épargner la vie des deux princes. Masinissa
n’aura d’autre solution que de nous déclarer la guerre et nous saisirons cette
occasion pour chasser du pouvoir Hannon le Rab et prendre la direction du
Conseil des Cent Quatre.
— C’est
une excellente idée. En compagnie d’Hasdrubal l’étourneau, j’irai porter la
réponse du Conseil à Micipsa et Gulussa. Toi, tu prépareras l’attaque contre les
Numides.
— Je
me réjouis, Mutumbaal, de te savoir dans de telles dispositions. Toutefois, la
décision que nous venons de prendre risque d’être lourde de conséquences pour
l’avenir de notre cité. Si les choses tournent mal et si Rome vole au secours
de son allié, je puis t’affirmer, connaissant l’état de nos forces, que nous
avons peu de chances de l’emporter. Or, cette fois-ci, nous aurons affaire non
pas à la clémence de Scipion l’Africain mais à la froide cruauté de Marcus
Porcius Caton.
— Je
comprends ton inquiétude et j’ai passé de longues nuits sans pouvoir trouver le
sommeil avant d’arriver à la conclusion que nous n’avons pas d’autre choix. Il
est possible que l’issue de cette lutte soit fatale à notre cité. Mais elle
périrait alors dans l’honneur et la dignité et je préfère pour elle cette fin
plutôt qu’une servitude déguisée
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