Haute-Ville, Basse-Ville
vide autour de lui. Il en a peut-être touché mot dans son milieu familial, cependant.
— Vous comprenez que, même sans fondement, cette histoire, si elle se répand dans la population, fera de grands dégâts.
Ryan fit un signe d'assentiment. Le premier ministre ne lui demandait pas s'il accordait une quelconque vraisemblance aux accusations du lieutenant. Il ne voulait sans doute pas entendre la réponse.
— Comme je vous le disais, continua le premier ministre, présenter cette histoire devant un juge pour obtenir un mandat de perquisition ne servirait à rien. Non seulement le mandat ne serait pas accordé, mais ce pauvre policier, qui a déjà sa part d'ennuis, pourrait faire l'objet de poursuites. Le tort pourrait d'ailleurs s'étendre à tout le service de police.
— Il a agi de sa propre initiative. Le lieutenant a profité d'un congé de maladie que je lui avais accordé la semaine dernière, à cause de son agitation justement, pour se livrer à cette expédition.
Le chef jouait à l'apôtre Pierre. Il désirait convaincre le premier ministre que jamais il n'avait orienté l'enquête dans la direction d'enfants de membres du Cabinet Ou de la direction du Parti libéral. Autrement, plutôt qu'un fidèle allié, on le percevrait comme une menace au pouvoir.
— Si je comprends bien la situation où nous sommes, un détective aux prises avec un problème de santé mentale a pris l'initiative de faire porter son enquête sur des jeunes gens en vue dans notre ville ? demanda Descôteaux.
C'était moins une question qu'une directive: la chose devrait être présentée de cette façon. Ryan acquiesça. Le premier ministre poursuivit :
— Cela pourrait-il s'inscrire dans une sorte de chimère pour nuire au gouvernement ?
— C'est l'impression que j'ai eue. Son discours n'était pas cohérent, mais je n'ai pas aimé l'entendre évoquer l'idée de soulever la population. Nous n'avons pas besoin de cela, surtout dans les circonstances actuelles. La situation devient explosive dans la Basse-Ville.
— Peut-être était-il plus intéressé à créer le désordre qu'à chercher les coupables du meurtre de cette pauvre fille, après tout. Les rumeurs de complots politiques circulent dans tous les pays occidentaux.
Descôteaux s'était levé sur ces derniers mots. C'était une façon de lui donner son congé. Ryan était rendu à la porte, le premier ministre à ses côtés, quand celui-ci lui dit encore :
— Vous avez très bien fait de me confier vos tracas. Votre prudence et votre tact sont très appréciés. Je ferai en sorte que cette histoire reçoive l'attention qu'elle mérite.
Il referma la porte dans le dos du fonctionnaire, formula un juron à voix basse. La première chose à faire était de vérifier l'état de ce policier. Il téléphona à l'hôpital psychiatrique de Beauport pour parler à la religieuse qui en assumait la direction. Quand il donna son nom, une tornade se déclencha à l'autre bout du fil. Un long cinq minutes lut nécessaire pour retrouver la religieuse dans les corridors de l'établissement. Tout essoufflée, elle prononça enfin :
— Monsieur le premier ministre, quelle surprise !
Le timbre de sa voix trahissait une grande inquiétude. Voulait-il lui parler d'une réduction des subventions de l'Etat pour les indigents gardés dans son établissement ?
— Ma mère, je m'excuse de vous déranger pour une question triviale. Vous avez reçu il y a peu un malade, un détective de Québec. Celui-ci s'est attaqué à son chef. Pourriez-vous demander au docteur Dubuc de jeter un coup d'œil sur lui et de me rappeler? Je m'inquiète un peu pour ce pauvre homme. Son père a aussi été interné dans le passé.
— Bien sûr, je vais m'en occuper tout de suite. Où doit-il vous joindre ?
— Je suis au parlement. Il connaît le numéro. Merci de votre gentillesse.
Le politicien raccrocha, laissant à l'autre bout du fil une religieuse perplexe. C'était bien la première fois que le premier ministre faisait une démarche du genre. Pour un policier en plus ! Des questions politiques devaient se trouver là-dessous. Ce monde lui répugnait plutôt, elle cessa d'y penser et se mit en devoir de trouver le docteur Dubuc.
Descôteaux avait relu les deux rapports de Gagnon, de plus en plus préoccupé. Tout cela semblait fort mauvais. Il devrait revoir les Trudel père et fils, obtenir le récit le plus
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