Haute-Ville, Basse-Ville
la plus laide bien en dessous. Ne voyait-on pas même quelquefois des jeunes héritiers choisir pour compagne une magnifique jeune fille de la Basse-Ville ? Cela marquait comme au fer rouge les laissées-pour-compte de la Grande Allée.
Germaine était sûrement l'une des plus belles vendeuses des grands magasins de la rue Saint-Joseph. Elle était capable de repousser les prétendants qui sentaient trop la sueur après leur journée d'ouvrage, ou dont le dessous des ongles restait résolument noir malgré tous les lavages, à cause de la graisse de machine. Toute la difficulté pour elle était de savoir à quel endroit de la très apparente échelle sociale de Québec elle allait se retrouver. Renaud imaginait les rues parallèles, de Saint-Joseph à la Grande Allée, comme autant de barreaux. Pourrait-elle gravir cette côte? C'était la grande question.
Alors que Germaine rougissait de sa confession, craignant qu'il ne la prît pour une aventurière, Renaud lui donnait raison de miser sur un mariage pour améliorer sa condition. Après tout, la société lui accordait-elle la moindre chance de le faire par son travail ?
Le jeune homme relégua un peu plus loin le panier maintenant vide, versa le reste du vin dans leurs deux verres et s'étendit lui aussi sur la couverture, pour lui faire face. Il lui adressa enfin un sourire qui la rassura sur l'effet de ses confidences. Elle ne le réalisait pas, mais seuls les pauvres faisaient de l'affection entre deux jeunes gens l'unique motif légitime de mariage. Chez les plus riches, de nombreuses autres considérations devaient être prises en compte. Ce sourire la rassura suffisamment pour qu'elle demande :
— Et vous, combien de jeunes filles avez-vous demandé en mariage ?
— Une seule, répondit-il après un long moment.
Il trouvait cette question bien plus indélicate que la sienne. Elle lui avait dit combien de personnes elle avait refusé, pas combien de personnes l'avaient repoussée. Cela lui parut même un peu cruel.
— Elle a dit non, ajouta-t-il bientôt, bien que ce fût évident.
Elle le trouva si penaud qu'elle lui prit la main, très légèrement, juste un moment.
— Tant pis pour elle.
Cela fit rire Daigle. Ces mots, il se les était répétés à lui-même bien des fois, mais il les entendait pour la première fois dans la bouche d'une autre. Us restèrent un bon moment comme cela, étendus face à face. Comme elle avait fait la première le geste de lui prendre la main, il la lui prit à son tour, sans insister. Troublé par l'intimité de son initiative, le jeune homme se releva bientôt, aida sa compagne à faire de même. Ils se promenèrent longuement sur la rive, jusqu'aux abords de la chute Montmorency.
Quand ils revinrent là où ils avaient pique-niqué, Renaud enleva ses souliers, ses chaussettes, releva un peu ses pantalons et s'assit sur une grosse pierre, laissant ses pieds tremper dans l'eau.
— Vous venez ? lui demanda-t-il.
Le rouge marqua les joues de la vendeuse. Elle s'esquiva derrière un buisson pour enlever ses bas, les roula et les mit dans le panier, et vint vers lui. Il lui prit la main pour l'aider à s'asseoir. Elle se trouva tout près, leurs bras se touchaient, les pieds dans l'eau froide. Tous les deux étaient excités, un courant électrique paraissait se communiquer d'un épiderme à l'autre. La simple audace de livrer ses jambes nues à son regard, la robe ramassée un peu au-dessus des genoux, un bout de jupon blanc bien visible, créait entre eux une intimité sexuelle. L'un et l'autre avaient fait part de ses attentes, sans provoquer de fuite. Chacun paraissait disposé à laisser les événements suivre leur cours.
Ils reprirent la route de Québec un peu passé cinq heures. Germaine aurait trouvé plus pudique de remettre ses bas, mais aller se trousser dans les buissons pour les attacher à son porte-jarretelles lui parut plus gênant encore que de rentrer les jambes nues.
Renaud eut envie de l'inviter à souper avec lui. En s'approchant de la Haute-Ville, son malaise devint le plus fort. Jusqu'où souhaitait-il pousser cette aventure ? Pourtant, rendu à la porte de sa maison de chambres, il lui promit de lui téléphoner au cours de la semaine. Puis, il se pencha pour l'embrasser sur la joue. Ce faisant, il posa sa main sur sa taille, sentit la chaleur de son corps malgré l'épaisseur de la robe. Son pouce dressé effleura le début de la courbe d'un sein. Elle
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