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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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même ton.
    —    Ici?
    Des yeux, elle désigna les gens autour d'eux. Comme ils avaient fini de manger, ils sortirent. Sur le trottoir, l'homme déclara :
    —    Viens à la maison.
    Elle voulut protester.
    —    Je suis capable de t'écouter sans sauter sur toi, précisa-
    t-il.
    Dans l'auto, elle commença à lui expliquer que deux avenues conduisaient à la «déchéance». D'abord, la plus extrême misère de la famille. Cela n'arrivait pas très souvent. Il y avait ensuite l'isolement. Quand une jeune fille se trouvait coupée de sa famille, sans amis, sans relations, il ne fallait pas
    beaucoup de temps avant qu'un homme ne vienne à son secours.
    —    Comment cela ? demanda Renaud.
    —    Tu sais pourquoi des associations comme le YWCA ont des bureaux dans les gares? Si une jeune fille arrive de la campagne, un peu perdue, elle va se faire aborder par un joli cœur. Il va l'emmener dans une maison de chambres, la sortir. Elle acceptera, car personne d'autre ne lui accorde-la moindre attention. Plus ou moins rapidement, plus ou moins brutalement, il l'entraînera dans un réseau.
    —    Le YWCA offre une chambre aux plus chanceuses de ces jeunes filles, il peut lui trouver un emploi parfois, et garder un œil sur elle.
    Sa compagne approuva d'un signe de tête. Dans son appartement, elle accepta un verre, prit place avec lui sur la causeuse.
    —    Toutes les petites filles de la campagne ne sont pas si menacées, dit Renaud pour relancer la conversation.
    —    Non. Elles ont habituellement une armée de tailles pour s'occuper d'elles.
    —    Qu'est-ce qui s'est passé avec toi ?
    —    Je me suis retrouvée enceinte.
    Elle lui fit une grimace, comme si cet aveu lui pesait beaucoup.
    —    Personne ne s'est occupé de toi ?
    —    Non. Je me suis retrouvée à la rue, toute seule.
    —    Ta mère, ton père ? Ils n'ont rien fait ?
    —    Mon père m'a mise enceinte. Il m'a ensuite chassée en me traitant de dévergondée. Ma mère devait être d'accord avec lui : elle n'a pas dit un mot.
    Renaud la serra contre lui. Maintenant, sa compagne tenait à terminer son récit. Fille d'un gros marchand de Rimouski, son père avait abusé d'elle au moment où elle sortait du couvent, après des années en pension. Il lui tenait ensuite des sermons sur la chasteté. Par son silence, sa mère se faisait complice. Elle devait préférer que son mari trouve son plaisir à la maison, et non à l'extérieur. Bientôt son ventre avait enflé sans qu'elle comprenne trop pourquoi. Il l'avait traitée de putain et l'avait mise dans le train.
    A la gare de Québec, après des heures passées sur un banc, terrifiée, un bon Samaritain était venu vers elle. Il s'était occupé de tout. Maintenant, elle remboursait.
    Il n'osa pas l'interroger sur le sort du bébé. Une vieille femme, dans une cuisine, s'en était sans doute chargée avec de longues broches à tricoter. Au mieux, un médecin peu scrupuleux trouvait un revenu supplémentaire avec ces malheureuses. Dans ce cas, il y aurait eu un peu d'éther et de meilleures conditions d'hygiène. Renaud la tint longuement contre lui sans prononcer une seule parole.
    Vers dix heures, elle manifesta le désir de rentrer. Il ne savait pas trop comment présenter la chose. Il dit seulement :
    —    Si tu ne veux pas y retourner, je peux aider.
    —    Tu veux partir en guerre contre la prostitution ? Nettoyer la ville ?
    —    Non. Seulement obtenir une toute petite victoire.
    Elle fit non de la tête. L'homme ne sut pas lui expliquer qu'une très bonne action, pour une fois, vu son remarquable manque de discernement des derniers mois, lui ferait du bien. Inutile d'insister. Trop d'hommes lui avaient fait faire des choses contre sa volonté, depuis des années. Il la reconduisit donc en voiture jusqu'à la porte du Chat. Alors qu'elle ouvrait la portière de l'auto, il prit sa main gauche dans les siennes et répéta :
    —    Je suis sérieux. Le jour où tu voudras quitter cet endroit, je serai là pour aider. J'aiderai aussi longtemps que ce sera nécessaire.
    Elle fit encore non de la tête. Il ajouta :
    —    Je vais venir plus souvent.
    Il lut de l'inquiétude et de la reconnaissance dans ses yeux. Elle lui donna un baiser très rapide sur la joue et se précipita vers le bordel. Il ramena l'auto dans l'écurie qui lui servait de garage depuis la venue du mauvais temps. Ce soir-là, il prit une grande

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