Haute-Ville, Basse-Ville
sur la visite effectuée rue Moncton avec le chef Daniel Ryan. Le récit se terminait avec une annotation en lettres majuscules : «LIVRET VOLÉ. REGARDER AILLEURS. ORDRE DE RYAN.»
Une conspiration entre Ryan et les autorités inspirait-elle cette directive? Peut-être pas. En fonctionnaire prudent, le chef de police pouvait avoir pris seul cette initiative. Une précision fit à Renaud l'effet d'un coup au cœur: «Le 3, HT était avec C. Bégin, J. St-Amant, R. Lafrance, W. Fitz. et J. J. Marceau. » Tous ces jeunes libéraux étaient ensemble le jour de la disparition.
Ensuite, au moins vingt-cinq pages concernaient la poursuite inutile de la piste des frères Germain. L'avocat apprit ainsi que Blanche et sa sœur avaient été abusées dans leur famille adoptive. Une série de jurons bien sentis, au fil des pages, lui fit comprendre que le policier souffrait de cette situation. Successivement, celui-ci évoquait sa conviction que les frères Germain étaient les coupables, puis l'intervention de Thomas Lavigerie pour les innocenter. L'avocat conservateur avait sans doute commencé à soupçonner une conspiration dès ce moment. Les rumeurs circulant au poste de
police devaient atteindre les oreilles de ce plaideur.
Puis les carnets parurent mis de côté pendant plusieurs jours. Au moment de la visite à Château-Richer, l'écriture du lieutenant semblait hésitante, maladroite. Renaud se demanda si la graphie traduisait le délabrement de l'esprit de l'enquêteur. Il apprit la visite au bureau de poste, puis chez le voisin de Trudel. La description répugnante de l'intérieur de la maison ne correspondait guère au souvenir de l'avocat. Au moment de la réception de l'Halloween, les lieux lui avaient semblé impeccables. Le policier évoqua un premier indice: des vêtements brûlés dans le poêle. Surtout, la description du caveau à légumes et des traces de sang occupait plusieurs feuillets.
Deux questions figuraient sur la dernière petite feuille: «Tous coupables, ou certains d'entre eux?»; «Pourquoi le corps dans le parc Victoria ? ? ? »
Le professeur de droit connaissait les grandes lignes de la suite. Gagnon avait rédigé son rapport sur la table de la cuisine de son appartement. Le lendemain, il l'avait soumis au chef Ryan. Après, il était disparu à l'hôpital Saint-Michel Archange. Cet homme ne témoignerait jamais sur l'enquête menée en toute discrétion. Renaud resta un bon moment devant son bureau, les dizaines de petits feuillets sous les yeux. Comment des jeunes gens en tous points normaux en arrivaient-ils à faire cela?
L'avocat se leva, mit son manteau et ses bottes, pressé de se livrer à une petite expédition. Au moment de se rendu-dans son garage de location, il ne remarqua pas qu'on le surveillait.
La conduite en hiver, dans les rues de Québec, se révélait des plus difficiles. A la suite de chaque bordée de neige, les voies les plus importantes étaient dégagées manuellement. Après quelques jours, les camions de livraison, les taxis et les voitures particulières arrivaient à se déplacer. Les rues les moins importantes pouvaient rester des semaines enneigées, accessibles seulement aux piétons et aux traîneaux tirés par des chevaux.
A l'extérieur de la ville, son expédition prit l'allure d'une aventure, quoique le chemin du Roy, de Montréal jusqu'à I >a Malbaie, fût la route la mieux entretenue de la province. Heureusement, amateur de promenades, Renaud avait fait mettre des chaînes à ses pneus. Il conduisait sur une couche de neige durcie, simplement aplatie sur la route avec un énorme rouleau. Quelques journées plus chaudes, suivies d'une vague de froid, permettaient aux roues de la petite voiture de tenir sur la surface gelée sans s'y enfoncer. Arrivé à Château-Richer, il reconnut sans peine la maison éloignée de la route. Comme la longue entrée, battue par les vents, était dégagée, l'intrus se permit même de rouler jusqu'à la maison. La porte du caveau à légumes demeurait bien visible, au flanc du talus.
Comme Gagnon était fou, pouvait-il avoir inventé tout cela? Deux motifs vinrent à l'esprit de l'avocat, sans le convaincre vraiment. Premièrement, peut-être cherchait-il à obtenir de l'argent pour son silence. Robert Jones n'était certainement pas le seul maître chanteur de la province. Deuxièmement, peut-être sa folie l'entraînait-elle sur une pente révolutionnaire. Lara avait été
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