Haute-Ville, Basse-Ville
coupables, l'ambiance n'était pas meilleure que chez les victimes. Fort discrètement, Henri Trudel avait convoqué ses amis à une petite réunion. Seul Fitzpatrick manquait à l'appel, trop malade pour se déplacer. Pour la première fois depuis le meurtre, ils se retrouvaient seuls ensemble dans cette maison. Leur présence à l'Halloween ne comptait pas : les autres invités, tout comme les costumes, avaient donné à ces lieux un air étrange, différent. Aujourd'hui, malgré le fait que la maison restait impeccable depuis le grand ménage de la fin de l'été, ils replongeaient tous dans l'horreur du passé.
Henri Trudel leur confia que Renaud Daigle avait percé leur secret. La confidence fut précédée d'un long récit, celui de la visite illégale du policier Gagnon, de ses soupçons, de son internement. Autrement, le rôle du professeur serait demeuré incompréhensible. L'«accident» auquel Daigle avait fait allusion le matin même en commençant son cours prit tout son sens. Certains ricanèrent, amusés, il termina en précisant :
— Il a écrit un message au premier ministre Descôteaux, lui donnant le lieu du crime et nos six noms.
— Au premier ministre? Pourquoi donc? grommela Lafrance.
Celui-là ne comprenait même pas le rôle joué par le premier ministre pour les protéger.
Aucun ne mesurait vraiment combien ils étaient passés près de se faire prendre. Tous s'étaient crus à l'abri, certains que plus rien ne pouvait survenir. Leur terreur dépassait maintenant celle de l'été précédent.
— Dommage, le salaud a survécu au coup de lame, ajouta encore Lafrance.
Comme les autres le regardaient sans comprendre, il ajouta :
— Daigle. S'il avait été tué, nos problèmes seraient réglés !
Henri s'était fait la même réflexion; il était pourtant scandalisé de l'entendre formulée à haute voix par un autre. Son camarade laissait libre cours à sa peur et il cherchait une solution pour s'en libérer.
— Rien ne nous empêche de nous occuper de lui, ajouta-t-il, personne ne nous soupçonnerait.
— Il y a eu une morte de trop déjà, ragea Marceau. S'il arrive la même chose à Daigle, je te dénoncerai sans hésiter une seconde.
Sa voix recelait une autorité qu'ils ne lui connaissaient pas. Il ajouta encore pour être bien compris :
— Un crime, c'est déjà beaucoup trop. Il n'y en aura pas d'autre.
— Je suis aussi de cet avis, déclara Michel Bégin. Si nous avons été trop lâches pour nous livrer l'été dernier, moi, j'aurai ce courage pour empêcher un nouveau meurtre.
— De toute façon, il a prévu le coup, interrompit Henri. Il s'est arrangé pour que toute l'histoire soit rendue publique s'il lui arrivait quelque chose.
La tournure de la conversation surprenait le jeune homme. Il espérait encore que le coupable se confesserait spontanément dans un élan de générosité pour sauver les autres.
— Il n'a pas de preuve, fit encore Lafrance. Ce ne serait qu'une rumeur de plus. Autant l'arrêter tout de suite.
L'étudiant têtu ne renonçait pas à son idée : si le professeur disparaissait, il en irait de même de la menace.
— Ça ne fonctionne pas très bien dans ta tête, cria Henri Trudel. Tu ne vois pas que la meilleure preuve contre nous, ce serait justement qu'il lui arrive quelque chose ?
— Le mieux, glissa Jean-Jacques Marceau, ce serait que le meurtrier se livre à la justice.
Le silence s'appesantit sur eux. Leur ruine se profilait sous leurs yeux... à moins que l'assassin ne prenne tout le blâme et innocente les autres. L'auteur d'un homicide crapuleux commettrait-il une action tellement altruiste : se rendre à la police pour accepter toute la responsabilité ? Henri formula son rêve impossible :
— Le coupable devrait écrire une confession et disparaître ensuite.
Un silence accueillit la proposition saugrenue, puis Bégin demanda :
— Disparaître comment ?
— Partir, passer la frontière discrètement et chercher un navire en partance pour n'importe quel point éloigné du globe. À New York, par exemple.
— Cela demanderait des moyens financiers importants, dit encore Bégin.
— Tous ensemble, nous ne sommes pas démunis. Les autres l'aideraient. Nous pourrions sûrement assurer un nouveau départ à quelqu'un.
Henri Trudel avait pensé souvent à cela, les réponses lui venaient sans hésitation. L'idée ne
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