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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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précédent, même si elle tirait déjà sur le gris. Il portait de grosses moustaches, elles aussi d'avant-guerre. Sans doute voulait-il se rappeler son heure de gloire. Avec Henri Bourassa, le fondateur du journal Le Devoir, il s'était révélé l'un des principaux animateurs d'un groupe nationaliste lors des élections fédérales de 1911. Ce regroupement avait contribué à la défaite de Wilfrid Laurier, le héros des Canadiens français, mettant fin à la carrière de celui-ci comme premier ministre du pays. Beaucoup faisaient une interprétation freudienne des interventions politiques de Lavigerie, qui mettait une énergie et un talent considérables à embêter les libéraux. La rumeur en faisait le fils illégitime de Laurier. Quoiqu'il se montrât plus antilibéral qu'autre chose, on classait Lavigerie parmi les conservateurs.
    —Je m'appelle Renaud Daigle, fit le nouveau venu dans la ville en acceptant la main tendue, mais je me rends compte que vous le savez déjà.
    —    Il est rare que l'on reste bien longtemps un inconnu à Québec. Votre retour a été largement commenté déjà.
    Les yeux de son interlocuteur furent suffisamment éloquents pour inciter Lavigerie à ajouter avec un sourire entendu :
    —    Quand votre père est mort, on s'est souvenu de votre existence. Depuis ce temps, aux heures creuses, vos réalisations ont meublé les conversations.
    —    Je ne savais pas avoir accompli quoi que ce soit méritant la moindre considération, remarqua Renaud.
    —    Vous êtes modeste. D'abord, un bel héritage, bien que vous n'ayez guère de mérite en cette affaire, crée toujours une bonne impression. Ensuite, votre doctorat en droit fait de vous une sommité dans la province. Quelques personnes ont prétendu que l'Université Laval était votre place naturelle. D'autres, proches de l'archevêché, ont même ajouté que vous étiez aussi de cet avis.
    Le fait que sa vie privée devienne l'objet de spéculations donnait un peu le vertige à Daigle. Désormais, il aurait souvent l'impression de vivre dans une maison de verre.
    —    Vous semblez surpris, reprit Lavigerie. L'existence dans une petite ville présente de bons et de mauvais côtés. Nous ne pouvions ignorer que l'un des nôtres s'illustrait dans la fière Albion. Des études à Oxford, un poste au Haut-Commissariat canadien à Londres! Ce sont des éléments dignes de mention.
    —    Il est plutôt inconfortable d'être celui sur lequel on sait tout, et de ne rien savoir des autres, fit sèchement Daigle.
    Ils étaient seuls maintenant dans la salle du palais de justice. Tous les autres devaient déjà être à table.
    —    Cet inconfort ne durera pas. Quelques invitations chez vos amis libéraux viendront bien vite... Enfin, je tiens pour acquis que vous rejoindrez ce parti. Quelques invitations, et vous saurez tout ce qu'il y a à savoir sur tout le monde comptant un peu à Québec. Sur moi, par exemple, bien que je n'aie pas la prétention de compter beaucoup.
    Us avaient regagné le corridor, sans presser le pas. Lavigerie le suivait de près. Sans doute pour finir la conversation sur un terrain plus neutre, il ajouta :
    —    Même si notre ville est petite et que tout finit par s'y savoir, elle n'est pas aussi sûre et sereine que nos élites voudraient le laisser croire. Des jeunes filles peuvent y mourir dans des circonstances particulièrement atroces.
    —    C'est vrai. Mais la rumeur venue de l'arrière de la salle cet avant-midi nous a appris que la chose serait rapidement tirée au clair: les frères de la jeune fille n'ont-ils pas déjà été arrêtés ?
    —    En réalité, ses cousins. Elle avait été adoptée, à la mort de ses parents. Les policiers, et d'autres habitants de cette ville peut-être, sont heureux d'avoir trouvé si rapidement des coupables convenables. Cependant, il y a loin entre une arrestation et une condamnation, croyez-moi.
    Lavigerie avait un petit sourire en coin, affectant celui qui en savait beaucoup. Il conclut enfin après un moment:
    —    Bon, je ne vous retarderai pas plus longtemps. Bon appétit, maître Daigle.
    Sur ce, l'incroyable personnage s'éloigna à grands pas.
    Le témoin suivant avait été fort heureusement convoqué après le dîner. Malgré cette précaution, il allait bouleverser quelques estomacs avec ses conclusions. Le docteur Grégoire devait en effet rendre compte des résultats de son autopsie. Les femmes furent à

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