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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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étouffée par sa furie, et probablement inquiet. Il raconta en phrases brèves comment sa fille adoptive n'était pas rentrée le samedi 3 juillet. Il décrivit encore les démarches entreprises par sa femme et lui le mercredi suivant, la visite à la police le jeudi. Le vieillard répondait lentement à chacune des questions, devait répéter souvent car ses paroles, à peine articulées, étaient inaudibles. En conséquence, il était plus de dix heures quand il put laisser le siège des témoins.
    Un gamin de dix ans lui succéda. Gérard Fecteau affichait sa fierté de se trouver là, tout en étant fort impressionné. Sa mère obtint la permission de s'asseoir avec lui. Le garçon était endimanché, avec un petit nœud papillon rouge sur sa chemise blanche. Il tenait sa casquette à la main. Au début, la salle s'esclaffa en entendant sa voix chantante et ses «m'sieur» à l'intention du coroner. Puis le silence s'imposa quand il raconta comment il avait trouvé la «dame» enveloppée dans un drap. Le coroner lui posa quelques questions sur ses motifs de se trouver dans les buissons. Tout le monde se tordit de rire quand il expliqua se baigner «pas d'maillot» et son souci d'éviter «qu'on le weille». Sa mère rougissante lui donna une petite claque derrière l'oreille, fit un « Excusez-le, m'sieur le juge », car elle ne comprenait pas la différence entre la procédure d'aujourd'hui et un véritable procès.
    Le sérieux revint dans la salle au moment où le vieil Alcide Gauthier vint prendre place à son tour. A une question du coroner, il répondit :
    — J'ai vu Blanche Girard samedi en fin d'après-midi. Quand elle est passée près du parc elle m'a salué, comme d'habitude. C'était une jeune fille bien polie.
    Cela la rendit tout de suite sympathique à tout le monde. Personne ne la suivait, précisa le gardien. Elle passait là tous les jours pour rentrer chez elle à Stadacona, à pied. Pour arriver plus vite à la maison, elle empruntait ce raccourci en suivant les rails du tramway. Puis Gauthier passa à la découverte du corps. Il ne dit pas un mot de l'odeur, des curieux ou du livret de banque. Il se contenta de préciser qu'il était resté là, près d'elle, après avoir envoyé le petit Fecteau au restaurant du parc demander que l'on appelle la police.
    Quand Gagnon prit place à son tour, on sentit en lui l'homme habitué à ce genre de procédure. Il décrivit l'endroit où le corps avait été découvert, expliqua qu'il se trouvait bien dissimulé aux regards à cause des buissons. Il émit quelques hypothèses quand le coroner lui demanda son avis : la jeune fille avait peut-être été tuée sur place, comme «son ou ses assassins» pouvaient avoir déposé son corps après le forfait. Dans cette éventualité, précisa-t-il, le criminel devait être venu par la rivière. Il s'agissait de la façon la plus facile et la plus discrète d'arriver dans la petite clairière. Le lieutenant admit cependant ne pouvoir l'affirmer avec certitude, puisque les curieux avaient tout piétiné. Impossible de chercher des traces de pas, après leur passage.
    Tôt ce matin, Daniel Ryan avait pris Gagnon à part pour l'avertir de ne pas souffler mot de la découverte du livret de banque: ce serait faire tort à des personnes innocentes. Le lieutenant avait acquiescé. La loi n'exigeait pas de divulguer tous les indices au moment de l'enquête du coroner. Surtout, comme ses trois suspects étaient déjà sous les verrous, l'histoire du carnet n'avait plus vraiment de rapport avec son enquête.
    Le coroner ajourna pour le repas du midi. Daigle laissa sur sa chaise son chapeau de paille, un beau panama tressé à la main. Le spectateur voulait marquer sa place, toutes les personnes bien élevées le comprendraient. Tous ces curieux se dirigeaient vers leur domicile, ou encore vers les petits cafés et les restaurants, nombreux autour du palais de justice. Il atteignait la porte quand quelqu'un l'interpella :
    —    Monsieur Daigle, nous n'avons pas été présentés, je crois.
    Il se retourna sur un grand gaillard venu s'asseoir à la dernière minute dans le coin des avocats, trop tard pour participer à la petite séance d'introduction du matin.
    —Je m'appelle Thomas Lavigerie, ajouta-t-il en tendant la main.
    Il avait la poigne solide. Renaud reconnaissait le personnage, maintenant âgé de près de cinquante ans. Sa tignasse impressionnante lui donnait l'allure d'un poète du siècle

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