Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
vraiment mieux à faire. Germaine avait carrément sauté le repas du midi, afin que son patron la laisse partir plus tôt pour témoigner. Autrement, tout sympathique que fut ce dernier, son salaire de la semaine aurait été coupé d'autant, ce qu'elle ne pouvait pas se permettre.
    Aussi marchèrent-ils jusqu'au Grey Owl. Elle prit bien son temps avant de choisir dans le menu : elle ne fréquentait pas souvent des endroits aussi chics - pour elle, tout était chic à la Haute-Ville -, elle ne voulait pas gaspiller l'occasion. Après avoir commandé un repas plutôt copieux, elle fut un peu mal à l'aise quand elle se rendit compte que Daigle allait se contenter d'un thé et d'un gâteau.
    Dans les minutes suivantes, elle enregistra des éléments disparates de sa biographie: c'était un avocat incapable de pratiquer au Québec, mais il entendait passer l'examen bientôt. Sa présence à l'enquête du coroner visait justement à le familiariser avec l'application de la justice. Ces paroles n'avaient pour elle aucun sens précis. Comment une employée d'un magasin à rayons pouvait-elle soupçonner qu'après des études coûteuses à l'université, il fallait encore réussir l'examen du barreau? Elle ne le savait pas, et le savoir n'aurait rien changé à son existence. Ils vivaient dans des mondes parallèles, séparés par une pente abrupte.
    Us en vinrent donc à parler de la seule chose qu'ils avaient en commun : leur intérêt pour Blanche Girard. Daigle profita de l'occasion pour essayer de corriger la maladresse commise un peu plus tôt :
    —    Ce que j'ai dit tout à l'heure était terriblement déplacé. Vous avez perdu votre meilleure amie et moi, je...
    —    J'étais sa meilleure amie, l'interrompit-elle, mais quoique j'aie beaucoup de peine, elle n'était pas ma meilleure amie.
    Des paroles comme celles-là pouvaient sembler cruelles, mais Germaine tenait à s'expliquer sur la nature de ses relations avec Blanche. Que ce soit devant une personne inconnue, qu'elle ne verrait sans doute plus jamais, rendait la chose plus facile.
    —    Là, je ne comprends pas ce que vous voulez dire, fit-il.
    —    Blanche était une bonne personne. Tout ce que j'ai dit sur elle est vrai. Mais c'était aussi une personne... limitée. J'ai habité à Stadacona. Quand elle est arrivée à la chorale, elle s'est accrochée à moi: elle était timide et j'étais sa seule connaissance dans ce groupe. Et moi, j'avais un peu pitié... une grande pitié en réalité. Elle n'avait personne, je pouvais m'occuper un peu d'elle.
    —    Vous étiez la personne la plus importante pour elle, mais elle n'était pas la personne la plus importante pour vous, fit Renaud d'un air entendu.
    —    C'est exactement cela, répondit-elle avec un grand sourire.
    L'employée était heureuse de rencontrer quelqu'un capable de comprendre tout de suite la véritable nature de leurs relations.
    Cette précision établie, Daigle ne craignit plus d'aborder le sujet de la jeune femme. Il ne remuait pas un fer dans une plaie vive, comme il l'avait cru d'abord. Quand il demanda pourquoi Grâce était venu dire avec tellement d'insistance qu'il n'était pas le petit ami de Blanche, elle répondit:
    —    A son travail, les gens commençaient à murmurer dans son dos à propos des crimes commis par des amoureux déçus. Alors, il tenait à ce que les journaux rapportent la vérité sur leur relation. Blanche était une connaissance de la chorale, rien d'autre.
    —    Elle chantait bien ?
    —    Non, pas vraiment, fit Germaine après avoir ri de bon cœur.
    Daigle arqua les sourcils pour exprimer sa surprise devant sa réaction. Elle lui expliqua :
    —    L'abbé qui dirige la chorale disait souvent: «Mademoiselle Girard, pourriez-vous chanter moins fort.» Elle ne chantait pas vraiment mal, mais pas très bien non plus.
    —    Que faisait-elle dans une chorale alors ?
    —    Son oncle Edmond était venu demander à l'abbé de la prendre avec lui. Cela lui permettait de sortir, de voir des gens, de se changer les idées. On disait souvent qu'elle chantait comme un poisson: elle remuait les lèvres, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Puis elle était toujours prête à rendre service, elle s'efforçait de ne déranger personne. Tout le monde l'aimait bien. En plus, elle nous donnait l'impression de faire une bonne action.
    La vie de Blanche, tout comme sa mort, n'avait rien eu d'enviable, conclut l'avocat.

Weitere Kostenlose Bücher