Haute-Ville, Basse-Ville
d'une concession forestière en Haute-Mauricie. Une voix véhémente l'interrompit :
— Ce sont des mensonges. Je ne sais pas pourquoi ces salauds veulent me nuire, tonna Fitzpatrick.
Il parlait fort, mais ne paraissait pas convaincant, ni même convaincu.
— Ce n'est pas vrai, répéta-t-il plus bas.
Trudel sortit une autre feuille d'une chemise, commença à lire après avoir montré à tout le monde l'en-tête de la lettre, pour leur indiquer qu'elle venait du ministère des Ressources naturelles. Fitzpatrick y expliquait dans son meilleur anglais que les hectares de forêts étaient réclamées par de multiples concurrents des Brown. En conséquence, il lui faudrait user de toute son influence pour les leur obtenir. Sa peine méritait salaire. C'était bien sûr exprimé avec bien des circonvolutions. Mais personne ne pouvait faire semblant de ne pas comprend re ce dont il s'agissait.
L'hôte termina d'une voix accusatrice :
— Il y a ta signature au bas de la lettre.
— Cela pourrait nous faire grand tort, opina Lafrance, si ces documents se retrouvaient dans les journaux. Les gens sont passablement excités sur la question des rapports entre les politiciens et ce qu'ils appellent les trusts. Les frères Brown menacent-ils de rendre cela public ?
— Ils sont très clairs sur une chose : ils veulent faire affaire avec quelqu'un d'autre à l'avenir, dit Trudel.
— Mon Dieu ! invoqua Armand Bégin. Samuel, tu seras obligé de démissionner, j'en ai bien peur.
Il ajouta en s'adressant au maître de la maison :
— Est-ce qu'ils vont engager des poursuites?
— Le premier ministre m'a dit qu'ils étaient outrés. Ces protestants se promènent avec une bible sous le bras, invoquant Dieu à tout moment. Il a finalement pu les convaincre de ne pas faire de bruit avec cela, en leur promettant de s'occuper lui-même de l'affectation des concessions forestières d'ici les prochaines élections provinciales.
Le piège se refermait sur Fitzpatrick. Tous les autres devaient être au courant avant de venir à cette réunion. Ils s'étaient sans doute entendus entre eux auparavant, pour planifier la nature et l'ordre de leurs interventions. Cela ressemblait à du mauvais théâtre. L'homme se trouvait coincé, toutefois il demeurait incapable de se résoudre à abandonner toute résistance.
— Moi aussi, je pourrais rendre publics des scandales.
Il ne vit pas Antoine interroger son fils des yeux. A ce moment, le mieux aurait été de se taire, pour les laisser dans l'expectative. Le ministre maladroit continua cependant:
— Vous aussi, vous avez tous accepté de l'argent, un jour ou l'autre.
L'hôte respira mieux. Des menaces aussi vagues ne présentaient aucun danger. Il put enchaîner :
— Selon Descôteaux, l'embêtant avec des poursuites devant les tribunaux, en plus de nuire à la réputation du Parti bien sûr, c'est que tu pourrais être appelé à rembourser des sommes importantes. Si tu dois rendre aux Brown leur argent, toutes les autres compagnies avec lesquelles tu as fait des affaires voudront aussi récupérer leurs cadeaux. De la même façon, la province pourrait réclamer les sommes que tu as reçues. Il s'agit d'argent injustement détourné des coffres du ministère, aucun juge n'arrivera à une autre conclusion.
Une démarche de ce genre ne serait peut-être pas couronnée de succès, mais cela le laisserait ruiné, vu les frais d'avocat.
— Qu'est-ce que Descôteaux suggère ? demanda enfin Fitzpatrick d'une voix blanche.
— Que tu remettes ta démission comme ministre. Tu pourras invoquer des raisons familiales, ou de santé. Le premier ministre te remerciera publiquement pour tes excellents services, regrettera ton départ... Tu connais les usages.
Des collaborations prenaient si souvent fin de cette façon, avec un échange de bons mots. .Personne ne s'en surprendrait. Le ministre Trudel continua en dévisageant son interlocuteur :
— Si tu veux demeurer député, libre à toi. Mais plus de présence au Cabinet, et tu gardes une absolue discrétion. Tu pourrais faire un peu de mal au Parti en devenant bavard, mais le gouvernement pourrait te faire perdre ta chemise avec des poursuites. Au bout du compte, Descôteaux serait perçu comme un héros en pourchassant la malhonnêteté même au sein du Parti libéral.
Tous se levèrent sur cette conclusion. Samuel Fitzpatrick rageait, tout en
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