Haute-Ville, Basse-Ville
de bonnes œuvres. Le sort en était presque jeté pour Elise, à moins que ne se présente un personnage inattendu : un veuf dans la plupart des cas - l'accouchement était encore souvent la cause de décès prématurés -, parfois, très exceptionnellement, un célibataire de trente ans.
— Vous rentrez tout juste d'un séjour en Angleterre ? s'enquit-elle, comme si elle ne le savait pas.
— En effet. J'ai étudié là-bas.
— Vous n'avez certes pas fait qu'étudier. Vous êtes parti depuis si longtemps.
— J'ai eu aussi le temps de faire la guerre, et de travailler pour le gouvernement canadien.
La première précision amena un froncement de sourcils chez son interlocutrice.
— Vous étiez dans un régiment canadien ?
— Non, britannique. On était tout à fait disposé là-bas à prendre un volontaire de plus.
— Comme cela a dû être affreux.
Cela ne demandait pas vraiment de réponse. Il ne l'écoutait que distraitement, toute son attention fixée sur les joueurs de tennis, plus précisément sur Helen McPhail. Celle-ci allait et venait sur le terrain, sa jupe plissée tournoyant autour d'elle. Elle jouait plutôt bien, mieux que son prétentieux partenaire en fait, mais son jeu ne suffisait pas à retenir l'attention. Fort jolie, pas très grande, ses cheveux bruns coupés court, « à la garçonne» disait-on, des yeux très bleus, elle donnait une impression de liberté, de vivacité, qui choquait ses rivales et séduisait les garçons. Elle portait une chemise «matelot», très populaire cet été, dont le grand col se relevait parfois contre sa nuque. Elle riait de ses bons coups, riait encore plus fort des mauvais coups de ses compagnons de jeu.
— Elle parle très bien français, remarqua Renaud.
Il ne vit même pas le dépit se dessiner sur le visage d'Elise. Celle-ci se rappela son rôle d'hôtesse et expliqua :
— Son père était irlandais, mais sa mère, canadienne française. Elle a fait tout son secondaire dans un couvent de Montréal, en français, et des études à McGill.
— Elle n'a plus ses parents ?
— Ils sont morts en 1918, lors de l'épidémie de grippe. Elle était au couvent alors, c'est sans doute ce qui lui a permis d'échapper à la contagion.
Elise espérait cesser d'évoquer cette petite Irlandaise, mais elle prenait l'habitude de la situation. Depuis une semaine qu'elle était là - les parents Trudel s'étaient entichés de celle qu'ils appelaient la «petite orpheline» -, le même scénario se répétait sans cesse. Parmi ses connaissances à La Malbaie, tous les garçons lui avaient demandé l'identité de la visiteuse.
— Vous ne pouvez pas pratiquer le droit au Québec? dit -elle pour attirer son attention.
Il cessa de regarder la jupe qui se relevait parfois jusqu'à mi-cuisse pour fixer sa voisine. Celle-ci n'était pas vilaine: grande, mince, des yeux gris intelligents, un air de douceur résignée sur le visage. Il comprenait parfaitement son envie de changer de sujet de conversation.
— Je vais préparer l'examen du barreau. Comme le travail à l'Université Laval ne devrait pas prendre tout mon temps, j'espère être prêt le printemps prochain.
Renaud fit un effort pour ne pas tourner de nouveau les yeux vers le court. Il chercha un sujet de conversation, se rabattit encore sur les personnes présentes, mais cette fois sur un sujet moins délicat:
— Ce garçon, Fitzpatrick, est le fils de l'un des collègues de votre père, au Cabinet ?
— Oui. Il s'agit du ministre des Ressources naturelles. Vous le verrez ce soir. Présentement, il discute avec mon père. La politique ne prend pas de vacances avec eux.
Elle marqua une pause, puis ajouta avec un sourire :
— Je ne crois pas que vous serez son professeur préféré, ajouta-t-elle, amusée.
— En toute honnêteté, il ne sera pas mon étudiant préféré non plus.
Un sourire ironique accompagna la réplique de Renaud. Il ajouta, bon prince :
— D'un autre côté, je conviens que mon domaine de spécialisation ne sera pas très populaire auprès des étudiants. C'est toujours un peu austère, une Constitution.
— Vous devriez avoir un certain succès avec ceux qui s'intéressent à la politique. Même si mon frère a fini sa licence, il a décidé de s'inscrire à votre cours. Il l'a suivi déjà avec votre prédécesseur il y a quatre ans, mais selon lui le
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