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Haute-Ville, Basse-Ville

Titel: Haute-Ville, Basse-Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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dix-huit heures, Renaud avait stationné sa voiture dans la rue Dorchester. Il se dirigea vers la rue Saint Joseph, calculant son pas pour passer devant le magasin THIVIERGE à dix-huit heures cinq. Quelle entreprise compliquée : essayer de passer comme par hasard à un endroit pour se trouver sur le chemin d'une autre personne. Combien y avait-il de chances pour que les employées du magasin à rayons sortent par la rue Saint-Joseph, plutôt qu'à l'arrière, dans la rue Desfossés? Il s'était fié à un seul indice: pour Germaine Caron, le trajet vers sa maison de chambres était un peu plus court si elle passait par la rue.
    Alambiquée, la stratégie fonctionna pourtant. Il vit la silhouette de Germaine Caron à une centaine de mètres. Elle ne se pressait pas, désireuse de profiter un peu de la belle soirée avant de rentrer. Il enleva son chapeau de paille en s'approchant, et dit, affable, en arrivant à sa hauteur :
    —    Mademoiselle Caron, quelle bonne surprise !
    —    En effet, quelle bonne surprise, répondit-elle en lui serrant la main.
    L'homme lui demanda comment elle allait. Puis, comme si l'idée lui était venue à l'instant, il s'enquit:
    —    Accepteriez-vous de m'accompagner au cinéma, samedi prochain? Nous nous sommes rencontrés dans des circonstances si difficiles, lors de l'enquête. Ce serait une bonne idée de se voir encore, cette fois après une journée moins dramatique.
    Il en mettait trop. Il s'inquiéta quand la figure de son interlocutrice se figea.
    —    Vous ne savez pas? Non, comment pourriez-vous... Samedi, ce sont les funérailles de Blanche. La chorale de la paroisse Saint-Roch se rendra à Stadacona. Une sorte d'adieu de ses meilleurs amis. La cérémonie aura lieu à trois heures.
    Son visage trahit sa tristesse. Il n'eut pas la prétention de croire que c'était à cause du rendez-vous manqué avec lui. Il se sentit vraiment touché par son désarroi.
    —    Si vous le voulez, je peux vous accompagner... Je veux dire, si vous n'avez personne.
    Il était sot: elle venait de lui dire qu'elle y allait avec la chorale. Le ridicule de la situation n'échappa pas à son interlocutrice. Ils seraient trente dans le jubé, et elle aurait en plus un accompagnateur dans la nef.
    —Comme c'est gentil à vous! Bien sûr, je serais ravie. Je pourrai revenir avec vous. Et puis... Écoutez, je ne veux pas paraître insensible. J'ai beaucoup de peine pour le sort malheureux de Blanche. Mais il y a près de trois semaines de cela. Si votre invitation tient toujours, je serai très heureuse de vous accompagner au cinéma. Je crois que cela me ferait beaucoup de bien, après tous ces événements.
    —    Bien sûr, fit-il. Ce sera un plaisir pour moi. Puis-je vous raccompagner chez vous ?
    Elle acquiesça. Ils se dirigèrent vers l'ouest, en direction de sa maison de chambres. Ni l'un ni l'autre ne remarquèrent le petit homme en habit bleu qui les regardait à cinquante mètres de là. En terminant sa journée de travail chez PAQUET, lui aussi s'était dit que ce serait une bonne idée de passer par hasard devant chez THIVIERGE au moment de la sortie de Germaine. Il n'était pas arrivé le premier, voilà tout. Grâce tourna les talons et rentra chez lui, rageur.
    Le samedi 24 juillet, trois semaines exactement après sa disparition, Blanche Girard avait droit à des funérailles. La cérémonie venait tardivement. Aussi longtemps que la famille avait senti les soupçons peser sur elle, elle n'avait pas pensé, ou pas osé agir. Lundi dernier, son père adoptif s'était rendu chez le curé de Stadacona pour lui demander de tenir un service. Comme les autorités ne demandaient pas mieux que de libérer une place à la morgue, elles ne s'étaient pas opposées à la requête. Le curé Melançon saisit l'occasion pour faire de l'événement quelque chose de remarquable: il demanda à la chorale de la paroisse Saint-Roch de se joindre à celle, bien plus modeste, de Stadacona, pour un adieu senti à la jeune fille. Le jeune abbé placé à sa tête avait acquiescé.
    Le père Germain aurait préféré la rapidité et la discrétion. Il se laissa convaincre : il n'aurait rien à payer, ni pour la messe chantée - par deux chorales, lui fit remarquer le curé -, ni pour tous les crêpes noirs ou violets qui orneraient l'église. «Ce seront de vraies funérailles de monseigneur», avait précisé le curé. A ces conditions, il ne pouvait refuser sans sembler suspect.

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