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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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saluèrent, comme de bons camarades qui renoncent à s’entre-tuer. Le général français fut bien inspiré en déplaçant ses bataillons suisses afin qu’ils ne courussent plus le risque d’avoir à combattre le contingent espagnol. Mais, la bataille ayant tristement tourné, comme vous savez, beaucoup de vos malheureux compatriotes ont péri : dix-huit officiers et plus de trois cents braves du seul bataillon Christen. Des centaines d’autres ont été faits prisonniers et emmenés par les Espagnols sur les pontons de Cadix, vieux vaisseaux-prisons pourris. Quelques-uns se seraient évadés, mais on ne sait rien de leur sort. C’est une des nombreuses tragédies de cette guerre, qui a pris une tournure inhumaine, tant la sauvagerie espagnole entraîne nos troupes à des excès dont, plus tard, nos aigles auront honte. Nous allumons ici des haines qui mettront un siècle à s’éteindre. »
     
    De telles lettres, où Blaise de Fontsalte osait enfin révéler un attachement réel et tendre, rassuraient Charlotte. Elle voyait passer les mois, approcher la trentaine, grandir son fils et sa fille et se demandait parfois si elle ne rêvait pas son aventure. L’amour de Charlotte pour Blaise se nourrissait de tout pour durer. Afin de se persuader de l’existence de l’amant et de la réalité de sa propre solitude, elle ne manquait jamais, lors des séjours à Lausanne, d’aller passer un moment au moulin sur la Vuachère. Cet abri, ignoré de tous, conservait les effluves de la passion satisfaite. Charlotte allumait un feu de bois, caressait la pipe oubliée par Blaise, imaginait ce dernier, affalé dans un fauteuil, devant l’âtre. Souvent, elle relisait les pages des cahiers où elle recopiait, depuis des années, les lettres de son héros lointain et des extraits des réponses qu’elle y faisait. Comme l’épouse qui attend le retour de l’époux, elle ne pensait qu’à embellir la modeste maison, la rendre avenante et douillette. Les fenêtres masquées par de beaux rideaux au crochet, les meubles régulièrement encaustiqués, le lit garni de draps brodés à son chiffre, les bouteilles du vin de Belle-Ombre couchées dans la cave, un service à thé, des verres fins, des couverts d’argent, tout était prêt pour recevoir le guerrier. Et cela, Charlotte l’avait écrit à Blaise, comme si l’évocation d’un confort bourgeois pouvait inciter le général à revenir plus vite sur les bords du Léman.
     

    À Vevey, les bouleversements de frontières et la guerre d’Espagne suscitaient, comme ailleurs, des commentaires. Guillaume Métaz et les gens de commerce voyaient dans la réorganisation territoriale de l’Europe, conduite par les armées de l’empereur français, la promesse de nouveaux débouchés. Ils redoutaient la remise en cause de la paix par les Anglais qui, sous les ordres de Wellington, avaient débarqué au Portugal. Simon Blanchod, qui rejoignait sans le savoir le pessimisme de Talleyrand, craignait, lui, que les Français ne puissent ni maintenir longtemps leurs conquêtes ni contenir la révolte espagnole.
     
    – Tous les membres de la famille Bonaparte semblent vouloir un trône. L’empereur leur en fabrique à coups de canons et de traités, mais il devra faire face, à plus ou moins brève échéance, à une résurgence des nationalismes. Les peuples, réduits par la guerre, se vengeront, comme en Espagne, par la révolution, observait avec sagesse le vieux vigneron.
     
    Chantenoz ne retint des événements que la rencontre, à Erfurt, de Napoléon I er avec son idole, Johann Wolfgang von Goethe. Les journaux avaient, en son temps, brièvement relaté cette entrevue de deux géants du siècle, mais le précepteur d’Axel venait de recevoir, à la veille du Mardi gras 1809, d’un jeune secrétaire du duc de Weimar, originaire de Lausanne, un témoignage direct de ce qu’avait été l’entretien. Tandis qu’on préparait le congrès d’Erfurt, Charles-Auguste avait prié Goethe de le rejoindre et, le 8 octobre 1808, à onze heures du matin, Napoléon I er avait mandé le poète.
     
    Chantenoz ne put résister au plaisir de donner lecture de la lettre de son correspondant de Weimar, autant pour distraire ses amis que pour faire connaître à son élève ce qu’il appela, avec un peu d’emphase, « une page encore inédite de l’histoire de l’Europe ».
     
    Un soir, tirant plusieurs feuilles de papier de sa poche, après avoir poli ses verres de

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