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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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finirions bien par nous marier. Cela me semblait établi. Tes parents ont préféré te donner à Guillaume. Et tu n’as pas hésité. Le chantier et les barques de ton père, les vignes et le négoce du sien. Quoi de plus sage, quoi de plus heureux, quoi de plus prometteur ? Et tu n’as rien vu de ma déception. J’appartenais à ton univers familier, comme Flora, Polline ou Élise. Tu n’avais jamais pensé, toi, me prendre pour mari, n’est-ce pas ? Mais ce fut bien ainsi. Je n’aurais jamais su, moi, commander à des ouvriers et à des bateliers, encore moins vendre des demi-muids de saint-saphorin aux Fribourgeois et aux Genevois. Comment aurais-je dirigé des affaires, alors que j’ai du mal à conduire ma propre vie !
     
    – Tais-toi, Martin. Tu étais comme un frère que je n’ai pas eu. Le passé est le passé et…
     
    – Et l’avenir, c’est Axel, Charlotte. Malgré ce que je sais et ce que je viens de dire, tu ne me l’enlèveras pas, dis ?
     
    Chantenoz se fit presque suppliant.
     
    – Non. Il t’aime trop… Et puis je te dois ce compagnon. Je sais qu’il ne peut avoir de meilleur maître que toi.
     
    Après un temps de silence, Charlotte se résolut à formuler à son tour une demande :
     
    » Je te prie, Martin, de ne pas dire à Flora ce que tu viens d’apprendre et qu’elle sait déjà. Il ne faut pas parler de ces choses, même entre amis. C’est mieux qu’elle ignore que tu sais…, n’est-ce pas ?
     
    – Sois sans crainte, l’Italienne est une sorcière, une djenatch , comme on dit en mettant dans le même sac mégère, guérisseuse et sage-femme. Je crains, si elle apprend un jour que je connais ton secret, votre secret, qu’elle ne m’empoisonne ! Elle est de ces êtres entiers pour qui tout attachement est fanatique !
     
    Charlotte esquissa un sourire devant l’air alarmé de Martin, puis, réaliste, elle s’inquiéta des dispositions à prendre dans l’immédiat.
     
    – Qu’allons-nous faire à présent ?
     
    – J’ai promis à Axel de le conduire aux bains, à l’heure où tu es censée t’y trouver. Il veut te voir tremper dans le bassin. Il compte bien aussi qu’à partir d’aujourd’hui tu prendras tes repas et te promèneras avec lui. Alors, dis à ton général de disparaître. Le mieux serait qu’il quittât promptement le bourg. Nous nous mettrons en route pour Vevey avec toi après-demain, puisque ta cure, et quelle cure, doit être achevée à cette date, d’après ce que m’a dit Guillaume.
     
    – Je ferai tout ce que tu me diras de faire, concéda Charlotte avec sincérité, assez satisfaite de se tirer à si bon compte d’une situation périlleuse.
     
    Comme Chantenoz se dirigeait vers la porte, elle le rejoignit et, chattemite, lui prit le bras.
     
    » Martin, dis-moi. Tu ne me méprises pas ?
     
    – Te mépriser ? Je ne sais pas encore. Le mépris, comme le pardon, vient avec le temps et la réflexion. Pour le moment, je ne fais que te plaindre.
     
    – Je voudrais que tu considères toujours Axel comme le fils légitime de Guillaume, car Fontsalte ignore, et ignorera toujours, qu’il en est le père, ajouta Charlotte.
     
    – Mais comment donc ! Le fils légitime de Guillaume, Axel l’est, ma belle, il porte son nom ! Is pater est quem nuptiae demonstrant 6 , c’est un principe de droit romain, cita Martin en franchissant la porte.
     

    Si bizarre que cela pût lui paraître, Martin Chantenoz se sentit rasséréné en marchant vers l’auberge où devait l’attendre son élève. Il était guéri de Charlotte, libéré d’un amour dont il n’avait jamais pu jusque-là dénouer les liens. En découvrant la banale, la triviale humanité de l’amie d’enfance, il constatait qu’elle n’avait jamais été qu’une incarnation fallacieuse de la sylphide. La passion du poète était une ascèse chauffée à blanc. La femme selon son cœur restait une abstraction, un ange du délire. Rien d’humain, rien de charnel, n’était digne d’attachement. Il se découvrit, plus que jamais, frère de Senancour et acheva sa route en se récitant un passage de la lettre dix-sept d’Oberman, qu’il connaissait par cœur : « Ma situation est douce, et je mène une triste vie. Je suis ici on ne peut mieux, libre, tranquille, bien portant, sans affaires, indifférent sur l’avenir, dont je n’attends rien, et perdant sans peine le passé, dont je n’ai pas joui. »
     
    – On peut très bien

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