Helvétie
équilibre sur leur tête. Nous nous retrouverons à l’hôtel pour le dîner. Nous mangerons des truites, cria-t-elle.
Axel était absorbé par l’immersion d’une grosse dame qui avait bien du mal à descendre accroupie dans le bassin, car le règlement interdisait « d’y entrer debout par souci de décence ». Martin se pencha vers Charlotte :
– As-tu donné congé à qui tu sais ?
– C’est fait. Il a pris la diligence de neuf heures, souffla-t-elle.
Charlotte, renseignée sur les horaires des diligences, s’était empressée d’aller trouver Blaise, dès que Martin s’était éloigné de l’hôtel. En deux phrases, elle avait expliqué que son fils étant arrivé inopinément avec le poète Chantenoz, devenu précepteur, elle devait se consacrer à l’enfant et surtout éviter une rencontre qui eût été fort compromettante pour elle.
– Mais je puis être un simple curiste. Vous pourriez me présenter comme tel. Nous nous sommes rencontrés ici comme beaucoup de gens se rencontrent aux bains et nouent des relations superficielles. Non ?
– Nous nous trahirions vite, Blaise. Je suis, quant à moi, incapable de dissimuler le sentiment que j’ai pour vous, inapte à jouer la comédie mondaine de l’indifférence. Chacun de mes regards serait un aveu ! Partez vite, je vous prie.
Le général Fontsalte avait soupiré et, en parfait gentilhomme, accepté son congé.
– Et puis nous nous reverrons bientôt puisque, m’avez-vous dit, vous devez rejoindre la suite de l’impératrice, le 14 septembre à Lausanne.
– Nous nous retrouverons au moulin… comme d’habitude, avait conclu Fontsalte, baisant la main de Dorette.
Quarante-huit heures plus tard, ce fut au tour du trio Charlotte, Martin, Axel de prendre la route de Vevey. Le voyage fut joyeux et plein de nouveaux enseignements pour l’enfant, Chantenoz prenant plus que jamais au sérieux son rôle de mentor. Seule M me Métaz avait des absences, des rêveries, des silences. Quand, avec son exubérance habituelle, Axel commentait un aspect du paysage, posait des questions ou se renseignait, dans les auberges, sur la composition des plats proposés, Charlotte faisait effort pour sourire ou entrer dans le jeu. Le garçonnet, trop observateur pour que cette attitude lui échappât, en fit la remarque à Chantenoz pendant que sa mère somnolait, dodelinant de la tête au balancement du coupé.
– Maman a l’air lasse, ne trouvez-vous pas, Martin ?
– Les cures thermales sont éprouvantes, mon garçon, et aussi le changement d’air. On n’en ressent le bénéfice que plus tard. Ne sois pas inquiet pour ta mère, sa lassitude prouve que les soins particuliers qu’elle a reçus à Loèche lui ont été très profitables, j’en suis certain.
Charlotte ne fermait les yeux que pour s’extraire de la conversation. Elle perçut l’ironie du propos et se dit qu’elle en entendrait bien d’autres, aussi allusifs, dans la bouche de Chantenoz. Puis, comme il lui plaisait d’imaginer que son pouvoir restait intact sur cet homme et qu’en dépit de ses allégations Martin lui vouait toujours la même amitié amoureuse, intense et jalouse, Charlotte décida qu’elle pardonnait par avance au malheureux toutes les méchancetés qu’il pourrait, par déception et rancune, proférer à son encontre.
À Rive-Reine, Guillaume Métaz, heureux de retrouver sa femme, fit à haute voix la même constatation qu’Axel. Il ajouta, après avoir considéré le visage de Charlotte, qu’elle avait « le bistre aux paupières ». Le garçon répéta pour son père les phrases rassurantes de Chantenoz quant au bénéfice différé des fatigantes cures thermales. Cette indication permit à M me Métaz d’échapper, pendant quelques nuits, au devoir conjugal que la continence forcée de son mari eût rendu exténuant !
Quelques jours après son retour, Charlotte avait retrouvé tout son entrain. D’abord parce que, sous prétexte d’une visite à sa tante à Lausanne, elle avait pu revoir brièvement son amant au moulin sur la Vuachère, ensuite parce qu’elle avait été désignée avec les premières dames de la ville pour accueillir, le vendredi 14 septembre, l’ex-impératrice Joséphine qui, au retour d’une visite à Chillon, devait s’arrêter à Vevey.
Car Joséphine s’était prise d’un véritable engouement pour la Suisse où elle jouissait
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