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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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vivre sans bonheur, n’est-ce pas ! lança-t-il au portier de l’hôtel, avec le sourire d’un homme qui vient de faire une découverte réjouissante.
     
    L’employé s’inclina sans un mot en faisant pivoter la porte à tambour. Il avait reçu pour consigne de ne jamais contredire un client !
     
    Axel, bien restauré, attendait avec impatience le retour de son maître. Martin prit le temps de faire toilette, de changer de linge et d’avaler un bol de lait chaud. Espérant que Charlotte avait suivi les consignes et congédié son amant, il se dirigea avec l’enfant, gai et sautillant comme un cabri, vers l’hôtel des Bains.
     
    – Je me demande si tu reconnaîtras ta mère dans le bassin où trempent les curistes. Tous, hommes et femmes, sont revêtus d’un long peignoir de flanelle blanche et assis dans l’eau.
     
    – Sûr que je reconnaîtrai maman. C’est toujours la plus jolie, dit l’enfant d’un ton péremptoire.
     
    Les visiteurs étaient admis dans l’établissement de bains pour jouir du spectacle grotesque, digne du pinceau de Jérôme Bosch, qu’offraient aux regards une cinquantaine de baigneurs immergés, pour quatre heures au moins et jusqu’à la poitrine, dans l’eau thermale. Les hommes devaient simplement ôter leur chapeau en entrant et veiller à refermer la porte. La source Saint-Laurent débitant au griffon une eau à cinquante et un degrés centigrades, les curistes eussent été pochés comme truites au bleu si la chaleur du bain n’avait pas été abaissée, par un système de refroidissement, à une température supportable.
     
    Sous la charpente d’une vaste galerie, le grand bain, ceinturé d’un déambulatoire dallé, ressemblait à un bassin de natation où la densité des baigneurs interdisait toute nage. Une passerelle le franchissait au-dessus des têtes des curistes. Ce promenoir surélevé permettait aux visiteurs d’avoir une vue plongeante sur les baigneurs des deux sexes, uniformément fagotés dans leur robe mouillée, tels des moines et nonnes soumis par le Grand Inquisiteur au supplice aquatique. Si la plupart des hommes trempaient tête nue ou cachaient leur calvitie sous des calottes, les femmes, enturbannées comme des moukères, ou portant le madras comme les Antillaises, sacrifiaient ainsi à la seule coquetterie qui restât visible. Chaque curiste disposait d’une sorte de tabouret, du type de ceux utilisés par les trayeuses de vaches du pays d’En-Haut. Sanglé aux fesses, ce siège permettait de circuler, de changer de secteur, de prendre place près des amis, de faire salon dans l’eau. Un plateau individuel flottant, de liège ou de bois, offrait un élément de confort supplémentaire. Retenu au poignet par une ficelle, il suivait, comme le tabouret, le curiste dans tous ses déplacements. Sur ces guéridons navigants on posait livres, journaux, consommations, ouvrages de broderie, bouquets de fleurs, jeux de cartes ou de dames. Certains baigneurs, à qui rien ne coupait l’appétit, déjeunaient tranquillement, au risque de voir leur repas faire naufrage sur un coup de fourchette trop appuyé !
     
    Une pénétrante odeur composite, où entrait un parfum de moisissure mêlé à celui plus âcre du plâtre fraîchement gâché avec, pour adjuvant, la piquante fragrance du soufre, surprenait les papilles de ceux qui venaient de respirer le bon air frais des montagnes. Le brouhaha des conversations – seules étaient interdites les discussions religieuses – démontrait que le silence n’était pas considéré comme facteur curatif. Les longues stations dans l’eau thermale provoquaient parfois sur le corps des curistes une éruption cutanée, appelée « la poussée » par les soigneurs. On la considérait comme une preuve d’efficacité des sels minéraux sur l’organisme.
     
    Axel, dès qu’il fut revenu de la surprise causée par un spectacle aussi insolite, se mit en devoir d’identifier sa mère au milieu des baigneurs. Ce fut Charlotte, guettant depuis un moment l’arrivée de son fils, qui, feignant la surprise, lui adressa, la première, un signe de la main. Si Chantenoz ne l’eût retenu, Axel, qui adorait barboter, eût allégrement sauté dans le bain pour embrasser sa mère.
     
    – Je sortirai à onze heures et demie, allez vous promener tous deux. Vous verrez au marché les paysannes d’Albinen, bellement costumées. Elles viennent vendre, chaque jour, des œufs qu’elles portent dans un panier en

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