Helvétie
Samuel Richardson – aux danses anglaises, aux jardins anglais, à la broderie anglaise, aux courses de chevaux, au théâtre de Shakespeare et de Sheridan, à l’équitation, au jeu de volant, à la meilleure manière de commander aux domestiques, d’organiser un thé, un raout, un dîner, un bal et à la pratique de la religion anglicane, qui avait ses évêques comme la catholique. Tout cela afin d’avoir un comportement aisé, digne et avantageux pendant la season de Londres, qui durait de mai à fin juillet, c’est-à-dire durant le temps où l’on ne pouvait chasser à courre ou autrement.
– Ainsi, cette année, nous manquons la saison, c’est maman qui a voulu qu’il en soit ainsi. Elle a sans doute ses raisons, mais j’ai pleuré trois jours quand elle m’a dit, deux semaines avant le premier bal à Park Lane, que nous partions pour la Suisse. Savez-vous que j’avais appris le quadrille et que je comptais bien me distinguer à cette occasion !
– Vous distinguer ? Et pourquoi et comment ? s’étonna Axel.
– Parce que c’est le moment où les jeunes messieurs cherchent une future épouse possible parmi les jeunes filles de leur monde. Et je vais avoir seize ans à la prochaine saison et je serai présentée à la cour !
Martin Chantenoz, à qui son élève rapportait avec humour les propos de miss Janet, conseilla à Axel de profiter de cette relation pour perfectionner son anglais en obligeant la demoiselle à user avec lui de sa langue maternelle.
– Depuis que je lui donne des cours pour faire plaisir à tes parents, que je vois bien entichés de ces Anglaises, la petite miss a fait de grands progrès dans notre langue ! Alors…
– Mais elle veut perfectionner son français avec moi, Martin ! La courtoisie m’oblige à… et puis j’aime beaucoup mieux parler anglais avec sa mère. Elle sait parfaitement me reprendre, avec intelligence et gentillesse, quand je commets une faute et m’aider à trouver le juste accent. Mrs. Moore est une femme admirable, d’une beauté fascinante. Une grande dame vraiment. Je la trouve autrement séduisante que sa fille, qui est agréable à regarder, drôle mais simplette.
– Eh, eh, eh ! Je me suis bien aperçu de ta préférence, dit Chantenoz d’un air entendu.
M. Métaz avait, lui aussi, remarqué, lors de dîners auxquels Charlotte conviait de temps en temps les étrangères, combien son fils marquait d’attentions à Mrs. Moore, surtout quand il s’adressait à elle en anglais, langue incompréhensible pour Guillaume. Mais ce dernier déduisait de cette attitude tout autre chose que le précepteur.
– Plaire à la mère pour avoir la fille, c’est une tactique, fit-il remarquer à sa femme, après une de ces réunions.
– Axel n’a pas besoin de faire d’effort, mon bon Guillaume, la petite Moore est coiffée, c’est sûr ! répliqua M me Métaz, rêvant pour son fils d’un grand mariage à Westminster.
Les fréquentes sorties, souvent sans chaperon, d’Axel et Janet finirent par éveiller la jalousie de Nadine et Nadette Ruty. Les jumelles se sentaient dépossédées de leur compagnon de jeux, de randonnées montagnardes et de pêche. La frustration était plus sensible encore depuis qu’elles avaient reçu un fusil, comme le fils Métaz, mais n’étaient autorisées à chasser qu’en compagnie de Simon Blanchod et de leur ami d’enfance.
Quand les Moore s’absentèrent pour une visite à la mer de Glace de Chamouny, le trio se reforma spontanément. Un soir, au bord du lac, alors que les jumelles venaient, comme souvent, de taquiner leur camarade d’enfance à propos de son flirt supposé, qu’elles nommaient toujours « l’Anglaise », le jugement d’Axel fut sollicité par les sœurs.
– Toi qui es un garçon, veux-tu nous dire laquelle de nous deux embrasse le mieux ? demanda Nadette.
– À seize ans, une fille doit savoir si elle embrasse bien et il n’y a qu’un garçon en qui elle a confiance, qui puisse le lui dire, compléta Nadine.
– Je vous trouve bien audacieuses, mesdemoiselles, et…
– Oh ! ça va, ça va, fais pas le benêt. Tu as bien dû en embrasser d’autres ! Et l’Anglaise surtout ! Non ? s’écrièrent en chœur les adolescentes.
Allongé sur l’herbe entre les deux sœurs, Axel fut surpris par l’impétuosité de ses robustes compagnes.
– Je commence, lança
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