Helvétie
sur le moment, non, j’avais trop peur, mais après, plus tard…, que vous ne vous soyez pas conduit comme un soudard… tendre ! Car, depuis cette nuit-là, votre souvenir dort dans mon cœur, acheva-t-elle dans un souffle rauque, laissant sa tête aller sur la poitrine de Blaise.
Le menton dans les cheveux de Charlotte, Fontsalte reçut cet aveu avec autant d’émoi que d’étonnement. Devinant ce que représentait pareille confidence pour une femme qui n’avait rien d’une gourgandine, il resta un moment silencieux, hésitant sur la conduite à tenir, les mots à prononcer. Parce qu’il était jeune, fort, insouciant et toujours prêt à profiter d’une bonne fortune, il choisit d’entrer dans le jeu.
– Mais il n’est peut-être pas trop tard ! Soudard et tendre, je puis l’être pour vous… mais j’imagine que votre mari… n’est pas en voyage comme lors de mon précédent séjour.
M me Métaz redressa la tête, le rouge aux joues et avec la fougue qu’ont parfois les craintifs quand ils sont résolus :
– Si, justement, il est à Meillerie, aux carrières. Il doit organiser et accompagner un chargement de pierre pour Nyon. Il ne rentrera que demain ou, même, après-demain. Mais Vevey est une petite ville où tout le monde surveille tout le monde. Nous comptons un fort contingent de commères, qui passent leur temps à épier par les fentes de leurs persiennes ce que font les gens. Surtout les gens en vue. Elles savent qui parle à qui, si telle femme va souvent dans telle direction quand son mari est dans les vignes, et combien de temps le boulanger ou le maréchal-ferrant passe à la taverne ! C’est ainsi !
– L’espionnage est donc une spécialité locale, persifla Blaise.
– Ne soyez pas méchant ! Cela pour vous dire que vous ne passerez pas inaperçu. Je suis sûre qu’on sait déjà qu’un commandant français est descendu à l’hôtel de Londres. Je dois donc être prudente.
– Personne ne sait que je suis en ville, sauf les officiers de l’escorte des prisonniers. Mais ils ignorent tout des relations que je puis avoir à Vevey.
– Et vos yeux ! Quand on a vu une fois vos yeux, on ne les oublie pas. Or Blanchod vous a rencontré chez nous, et Chantenoz, et Polline. Il est vrai qu’ils ne m’ont pas parlé de votre regard. Comme ils ne vous ont vu qu’aux chandelles, sa… particularité leur a peut-être échappé.
– La nuit, tous les yeux sont gris, comme les chats, dit Blaise en prenant Charlotte aux épaules pour l’attirer contre lui.
– Je vous en prie, le pasteur peut entrer ici d’un moment à l’autre. Je l’ai vu parler aux prisonniers, sur la terrasse.
– Mais alors, où et comment vous revoir ? dit-il.
– À Belle-Ombre. C’est une maison que je tiens de mon père. Elle est au milieu des vignes, sur le chemin de Saint-Saphorin, à une lieue un quart d’ici. Je vais y loger parfois, l’été, quand il fait trop chaud au bord du lac. Mais, naturellement, je ne peux y aller seule sans attirer l’attention et déclencher la curiosité de Polline. Quand je m’y rends, c’est avec Flora. Comme elle est rentrée depuis quelques jours, je lui demanderai de m’accompagner et nous nous retrouverons là-haut. J’apporterai des provisions et nous pourrons dîner sous la tonnelle devant le lac. Le point de vue est…
– Mais vous avez confiance en Flora ? Elle doit me détester, coupa Blaise en pensant au récit de Trévotte.
– Elle déteste tous les Français, mais j’ai tout à fait confiance en elle. Nous nous aimons comme des sœurs. Notre affection vaut, croyez-moi, tout l’amour qui peut unir deux personnes de sexes différents. Et puis vous oubliez, commandant, qu’elle me doit la vie.
Cette déclaration laissa Blaise rêveur. L’idée que des relations saphiques puissent exister entre les deux amies effleura son esprit, mais l’attitude de Charlotte, dont il sentait palpiter la poitrine, lui fit négliger cette pensée. La jeune femme indiqua le chemin à suivre pour se rendre à Belle-Ombre.
– Partez au commencement de l’après-midi, quand les commères, accablées par la chaleur et ce qu’on appelle ici la molle du lac, font la sieste, précisa-t-elle.
– Mais la présence d’un homme ne…
– Vous pourrez dormir là-haut, si vous le souhaitez, coupa-t-elle, mais allez-y à cheval, pas avec votre berline. Elle
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