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Helvétie

Helvétie

Titel: Helvétie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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vignes basses, des groupes de prisonniers autrichiens, en route pour Genève. Les hommes paraissaient épuisés par les journées de marche. Ils venaient de Lombardie et avaient, eux aussi, franchi le Grand-Saint-Bernard, en sens inverse de l’armée qui les avait vaincus entre Châtillon et Marengo. Ils étaient des milliers, de chaque côté des montagnes, qui allaient, en cohortes misérables, au long des chemins.
     
    Les contingents de prisonniers qui passaient par Vevey venaient, pour le moment, de Bard et d’Ivrea, mais d’autres, partis de plus loin, de Plaisance, de Pizzighettone ou de Pavie, suivraient au cours des prochaines semaines. Les blessés légers, bras en écharpe ou traînant la jambe, ne se plaignaient pas. Ils demeuraient affalés à l’ombre des châtaigniers, attendant qu’un camarade valide leur apportât une gamelle de bouillon et une poignée de biscuits. Certains dormaient à même le sol, d’autres s’épouillaient mutuellement, beaucoup se grattaient les membres et réclamaient aux officiers qui faisaient les cent pas en fumant leur pipe à long tuyau, ou aux infirmiers débordés, de la pommade calmante. La gale « répercutée », plaie des armées en campagne qui négligent les principes élémentaires d’hygiène, se propageait parmi les soldats. Seule la pommade soufrée du chirurgien Helmerich semblait capable de combattre la contagion. À la fatigue commune s’ajoutait, pour les galeux, l’insomnie due aux démangeaisons nocturnes.
     
    Des Veveysannes charitables distribuaient de la charpie, du linge usagé, des victuailles, du pain et aussi des linceuls pour ceux qui allaient succomber. Quelques vignerons envoyaient des tonnelets de vin et l’on voyait, dans le regard des vaincus aux longues moustaches effilées, aux cheveux nattés sur la nuque, qui avaient été de beaux soldats, gratitude et résignation.
     
    En voyant partir pour la France les premiers prisonniers, Bonaparte avait dit, devant Fontsalte et quelques autres : « Honneur au courage malheureux », et il avait demandé qu’on adoucît pour eux les malheurs de la guerre.
     
    Fort de cette consigne, Blaise parcourut le bivouac de misère, demanda au commandant de l’escorte et aux sous-officiers qui encadraient les Autrichiens de ne pas presser les prisonniers, de leur laisser passer une nuit de plus sur cette terrasse élevée, où l’on bénéficiait le jour de l’ombre des grands arbres, la nuit de la brise rafraîchissante du lac. Puis il avisa une très jeune fille qui venait de poser près d’un groupe de blessés un panier de fromage. Tirant de la poche de son dolman un billet cacheté, préparé au réveil, il l’interpella.
     
    – Connais-tu M me  Métaz, fillette ?
     
    – Comme tout le monde ici, Monsieur l’Officier, mais pas plus. Je suis de Saint-Légier, pas de la ville.
     
    – Bon. Tu vas lui porter ce billet. Mais, attention, tu ne le donnes qu’à elle. Personne ne doit te voir donner le billet à cette dame. C’est un secret… militaire. Tu comprends ?
     
    – Je comprends, Monsieur l’Officier, c’est un secret militaire. Mais, et si je peux pas remettre la lettre comme vous dites ?
     
    – Tu reviens ici et me la rapportes. Je ne bouge pas avant de savoir si le billet a été remis. Tu as bien compris ? insista Blaise en posant sur la jeune fille un regard impressionnant.
     
    Elle n’avait jamais vu un homme dont les deux yeux n’étaient pas de la même couleur et ne savait lequel fixer tandis qu’il lui parlait.
     
    – Je reviens vous dire, Monsieur l’Officier, si je trouve pas M me  Métaz, promit-elle vivement en s’éloignant.
     
    – C’est bien. Je serai dans l’église. Il y fait plus frais que dehors.
     
    Dans l’ombre du sanctuaire, devenu depuis deux siècles temple protestant, blanchi, net, dépouillé de tout ce qui fait l’ornement d’un lieu de culte catholique romain, Fontsalte se sentit égaré. Le décor palatin du roi des cieux paraissait aboli. Statues de la Vierge, du Sacré-Cœur, de saints et de saintes, retables, reliquaires, vitraux colorés, chapelles votives, autels de marbre nappés de dentelles et fleuris, lutrins sculptés, candélabres surdorés, tabernacles, ampoule rubescente du saint sacrement, dais de soie, parfum d’encens, tout manquait. Blaise, habitué au décor sulpicien des églises de son enfance, à l’agencement pompeux des cathédrales, vit cette basilique gothique réduite à

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