Herge fils de Tintin
cherche de l’aide autour d’elle : auprès de
Marcel Dehaye et d’Edgar Jacobs surtout, car ses seuls
vrais amis sont aussi ceux de son mari.
Vers la fin du mois d’août, Hergé et Germaine repartent à nouveau ensemble, en Bretagne cette fois. Le séjour
est catastrophique. Plus Georges « languit de son
amour 27 », plus il se montre cynique. En désespoir de
cause, c’est à Alexis Remi, le père d’Hergé, que Germaine
se confie :
Bien cher papa,
Je suis si désolée de vous envoyer de mauvaises nouvelles.
Rien ne va plus, Papa, et cette fois nous nous quittons.
Il fait splendide ici, c’est une vie de rêve. Hélas, il n’en est pas
ainsi pour moi !
Georges n’a pas changé, cela va de mal en pis. Il est méchant,
cruel, a des crises de fureur et, je vous l’assure, malgré tout
mon courage, je suis à bout de résistance et de nerfs 28 .
Ils quittent Perros-Guirec et rentrent ensemble à Paris
où leurs chemins se séparent. Hergé continue vers la
Suisse « retrouver l’unique… l’amour partagé… l’amour
parfait… », ainsi que Germaine le note amèrement. Mais
du côté d’Hergé, l’hésitation reste totale : à peine arrivé
auprès de sa maîtresse, il se remet à écrire à sa femme. La
vérité, c’est qu’il est incapable de se tenir à une décision,
dans quelque domaine que ce soit.
L’abbé Wallez, dont l’état de santé s’améliore, soutient
de son mieux sa « chère enfant », sans accabler son ancien
protégé : « Georges subit une crise, rendue plus “frémissante” par le long surmenage auquel il s’est soumis : on ne
travaille pas impunément avec une telle tension pendant
plus de vingt ans. Cette crise finira et il vous reviendra
sans beaucoup tarder 29 . » En attendant, Germaine doit se
persuader qu’il s’apercevra bientôt de son erreur.
Norbert Wallez n’a pas tort. Le choix d’Hergé est déjà
fait. Le grand amour qu’il devait retrouver en Suisse n’a
pas tenu ses promesses.
Tant de choses nous séparent, cette femme et moi : sa
famille, son mari, ses enfants, ses six années de mariage, ses
amies, sa façon de vivre, son éducation, ses préoccupations,
tout. Et tant de choses nous unissent, Germaine et moi, tant
de souvenirs, bons ou mauvais, tant de choses irremplaçables, tant de choses qui n’ont pas de prix 30 .
Hergé revient à Bruxelles le 23 septembre, la veille du
déjeuner marquant le deuxième anniversaire du journal Tintin . Raymond Leblanc a de grandes nouvelles à lui
annoncer. L’hebdomadaire, dont le succès ne cesse d’augmenter, va passer à vingt pages dès la semaine suivante. Et
surtout, un accord important vient d’être passé avec un
certain Georges Dargaud, pour publier une édition française de Tintin . Leblanc cherchait depuis longtemps un
partenaire, mais, même à Paris, de nombreuses portes
s’étaient fermées à cause du nom d’Hergé. À partir du
24 octobre 1948, deux versions parallèles de Tintin vont
désormais être publiées : la plupart des bandes dessinées
qui paraissent en feuilleton sont identiques, mais le
contenu rédactionnel du journal est adapté au public
français, comme parfois la couverture.
Objectivement, ce sont d’excellentes nouvelles, qui
réjouiraient Hergé s’il n’avait à ce point la tête ailleurs.
Germaine, marquée par les épreuves des derniers mois,
vient de tomber malade et est à Bruges avec sa mère.
Quant à Hergé, à peine rentré, il repart avec Marcel
Dehaye à la trappe de Scourmont, près de Chimay.
Depuis un moment, son secrétaire, qui a gardé de
l’époque « Capelle-aux-Champs » le goût des retraites spirituelles, insistait pour qu’il prenne « un repos véritable dans quelque lieu de paix ».
Les premiers jours, Hergé se demande un peu ce qu’il
fait là. Les offices religieux l’ennuient plus que jamais : ces
interminables litanies le font « impitoyablement songer
aux moulins à prière des moines du Tibet » ! Comme dans
sa jeunesse, quand il lui arrivait de séjourner dans un
monastère avec les élèves de Saint-Boniface, il se sent
« terriblement étranger à tout cela, malgré des tentatives
sporadiques » de s’y plonger avec force.
C’est pourtant dans ce contexte qu’une rencontre
essentielle va survenir : celle du père Gall, un moine passionné par les Peaux-Rouges. Entré au monastère en
1926, il vivait assez en marge de la communauté trappiste, baignant dans une spiritualité très
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