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HHhH

HHhH

Titel: HHhH Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Binet
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musicale vigoureuse dans cette région au cœur du Reich pour les années à
venir. » Heydrich n’écrit pas aussi bien qu’il joue du violon mais il n’en
a cure, puisque c’est la musique qui est le vrai langage des âmes artistes.
    La programmation est
exceptionnelle. Il a fait venir les plus grands musiciens pour jouer de la
musique allemande. Beethoven, Haendel, Mozart aussi bien, sans doute, pour une
fois, a-t-on échappé à Wagner ce soir-là (je n’en suis pas sûr car je n’ai pas
pu me procurer le programme complet). Mais c’est lorsque s’élèvent les notes du
concerto pour piano en do mineur de Bruno Heydrich, son père, jouées par
les anciens élèves du conservatoire de Halle, accompagnés par un célèbre
pianiste virtuose venu tout exprès, qu’Heydrich, laissant la musique couler en
lui comme une onde bienfaisante, doit connaître ce sentiment d’apothéose. Je
serais curieux d’écouter cette œuvre. Lorsque Heydrich applaudit, à la fin, je
peux lire sur son visage l’orgueilleuse rêverie des grands égocentriques
mégalomanes. Heydrich goûte son triomphe personnel à travers celui posthume de
son père. Mais triomphe et apothéose, ce n’est pas exactement la même chose.
210
    Gabčík est rentré. Ni lui
ni Kubiš ne fument dans l’appartement, pour ne pas indisposer la brave famille
Ogoun qui les accueille, et pour ne pas éveiller les soupçons des voisins.
    Par la fenêtre, on peut voir le
Château se découper dans la nuit. Kubiš, perdu dans la contemplation de sa
masse imposante, songe à haute voix : « Je me demande ce qu’il en
sera demain, à la même heure… » M me  Ogounová
demande : « Et que devrait-il se passer ? » C’est
Gabčík qui lui répond : « Mais rien, madame. »
211
    Le matin du 27 mai,
Gabčík et Kubiš s’apprêtent à partir, plus tôt qu’à leur habitude. Le
jeune fils de la famille Ogoun qui les héberge révise une dernière fois ses
examens, car aujourd’hui c’est le jour du bac, et il est tout nerveux. Kubiš
lui dit : « Sois calme, Luboš, tu réussiras, tu dois réussir. Et ce
soir, nous fêterons tous ensemble ton succès… »
212
    Heydrich, comme à son habitude,
a pris son petit déjeuner en consultant les journaux frais qu’on lui apportait
de Prague tous les matins à l’aube. À 9 heures, sa Mercedes noire ou vert
foncé est arrivée, conduite par son chauffeur, un géant SS de presque
deux mètres répondant au nom de Klein. Mais ce matin-là, Heydrich l’a fait
attendre. Il a joué avec ses enfants (je me demande bien à quoi la scène
pouvait ressembler : Heydrich jouant avec ses enfants) et s’est promené
avec sa femme dans les vastes jardins de leur propriété. Lina a dû l’entretenir
des chantiers en cours. Des frênes à couper, paraît-il, et le projet de planter
des arbres fruitiers à la place. Mais je me demande si Ivanov n’a pas inventé.
D’après lui, la petite dernière, Silke, aurait dit à son papa qu’un certain
Herbert, inconnu au bataillon, lui aurait appris à charger un revolver. Or,
elle a 3 ans. Bon, en ces temps troublés, plus rien ne devrait m’étonner.
213
    Nous sommes le matin du
27 mai, jour anniversaire de la mort de Joseph Roth, mort d’alcoolisme et
de chagrin trois ans plus tôt à Paris, observateur féroce et visionnaire du
régime nazi dans ses jours d’ascension, qui écrivait, dès 1934 : « Quel
fourmillement dans ce monde, une heure avant sa fin ! »
    Deux hommes montent dans un
tramway en se disant qu’il s’agit peut-être de leur dernier voyage, alors ils
regardent avidement les rues de Prague défiler par la fenêtre. Ils auraient pu
au contraire choisir de ne rien voir, faire le vide en eux, chercher leur
concentration en faisant abstraction du monde extérieur, mais j’en doute fort.
Etre aux aguets, depuis le temps, est devenu une seconde nature. En montant
dans le tramway, ils vérifient machinalement l’allure de tous les passagers
hommes : qui monte et qui descend, qui se tient devant chacune des portes,
ils peuvent dire instantanément qui parle allemand, même à l’autre bout du
wagon. Ils savent quel véhicule précède le tram, quel véhicule le suit, à
quelle distance, repèrent le side-car de la Wehrmacht qui double par la droite,
jettent un coup d’œil à la patrouille qui remonte le trottoir, notent les deux
imperméables de cuir qui font le guet devant l’immeuble d’en face (ok,
j’arrête). Gabčík, lui

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