Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
HHhH

HHhH

Titel: HHhH Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Laurent Binet
Vom Netzwerk:
de pointe est passée et la présence de Gabčík
et Kubiš sur le trottoir d’Holešovice se fait plus visible. En 1942, n’importe
où en Europe, deux hommes seuls stationnant trop longtemps au même endroit
deviennent rapidement suspects.
    Je suis sûr qu’ils sont sûrs
que c’est foutu. Chaque minute qui passe les expose au risque de se faire
repérer et arrêter par une patrouille. Mais ils attendent encore. Il y a plus
d’une heure que la Mercedes aurait dû passer. D’après les horaires relevés par
le menuisier, Heydrich n’est jamais arrivé au Château après 10 heures.
Tout laisse donc croire qu’il ne viendra plus. Il a pu changer de trajet, ou
bien se rendre directement à l’aéroport. Envolé pour toujours, peut-être.
    Kubiš est adossé à un
lampadaire, à l’intérieur du virage. Gabčík, de l’autre côté du carrefour,
fait semblant d’attendre le tramway. Il a dû en voir passer une bonne douzaine,
et ne les compte plus. Le flux des travailleurs tchèques décroît
progressivement. Les deux hommes sont de plus en plus terriblement seuls. Les
rumeurs de la ville se sont estompées petit à petit, et le calme qui s’installe
dans le virage résonne comme l’écho ironique du fiasco de leur mission.
Heydrich n’est jamais en retard. Il ne viendra plus.
    Mais je n’ai pas écrit tout ce
livre, bien sûr, pour qu’Heydrich ne vienne pas.
    À 10 h 30, soudain,
les deux hommes sont frappés par la foudre, ou plutôt par le soleil qui se
reflète, en haut de la colline, dans le petit miroir que Valičík a tiré de
sa poche. C’est le signal. Donc il arrive. Le voilà. Dans quelques secondes, il
sera là. Gabčík traverse la route en courant, et vient se poster à la
sortie du virage, masqué jusqu’au dernier moment par la courbe. Contrairement à
Kubiš, plus avancé (sauf si celui-ci est en fait placé derrière Gabčík,
comme l’affirment certaines reconstitutions, mais cela me semble moins
probable), il ne peut pas voir que la Mercedes qui se profile à l’horizon n’a
pas d’escorte. Je parie qu’il n’y a même pas pensé. À cet instant, forcément,
il n’a plus qu’une seule idée qui prend toute la place dans son cerveau en
feu : abattre la cible. Mais il note à coup sûr le bruit caractéristique
d’un tramway qui arrive derrière lui.
    Soudain la Mercedes surgit.
Comme prévu, elle freine. Mais comme redouté, elle va croiser un tramway rempli
de civils au plus mauvais moment : à l’instant exact où elle se portera à
la hauteur de Gabčík. Tant pis. Le risque d’exposer des civils a été
évalué et il a été décidé de le prendre. Gabčík et Kubiš sont des Justes
moins scrupuleux que ceux de Camus, mais c’est parce que leur existence
s’inscrit au-delà ou en deçà de simples caractères noirs formant des lignes sur
du papier.
217
    Vous êtes fort, vous êtes
puissant, vous êtes content de vous. Vous avez tué des gens, et vous allez en
tuer beaucoup, beaucoup d’autres. Tout vous réussit. Rien ne vous résiste. En
l’espace d’à peine dix ans, vous êtes devenu « l’homme le plus dangereux
du III e Reich ». Plus personne ne se moque de vous. On ne vous
appelle plus « la chèvre » mais « la bête blonde » :
vous avez indéniablement changé de catégorie dans l’échelle des espèces
animales. Tous vous craignent, aujourd’hui, même votre chef, qui est un petit
hamster à lunettes, bien qu’il soit lui aussi très dangereux.
    Vous êtes calé dans le siège de
votre Mercedes décapotable, et le vent fouette votre visage. Vous vous rendez
au bureau, et votre bureau est un château. Vous vivez dans un pays, et tous les
habitants de ce pays sont vos sujets, vous avez droit de vie ou de mort sur
eux. Si vous le décidiez, vous pourriez les tuer tous, jusqu’au dernier. D’ailleurs,
c’est peut-être ce qui les attend.
    Mais vous ne serez plus là pour
le voir, car d’autres aventures vous appellent. Vous avez de nouveaux défis à
relever. Tout à l’heure, vous allez vous envoler et abandonner votre royaume.
Vous étiez venu remettre de l’ordre dans ce pays, et vous avez brillamment
accompli votre tâche. Vous avez fait courber l’échine à tout un peuple, vous
avez dirigé le Protectorat d’une main de fer, vous avez fait de la politique,
vous avez gouverné, vous avez régné. Vous laisserez à votre successeur la
lourde tâche de pérenniser votre héritage, à savoir : empêcher toute
résurgence de la

Weitere Kostenlose Bücher