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des compagnies d’assurances, rien que le prix
des carreaux cassés s’élève à cinq millions de marks (c’est pourquoi on parlera
de « nuit de cristal »). Or, il se trouve que les propriétaires des
boutiques juives sont souvent des Aryens, qu’il faut indemniser. Göring
fulmine. Personne n’avait pensé au coût économique de l’opération, et le
ministre de l’Economie moins qu’un autre, apparemment. Il crie à Heydrich qu’il
aurait mieux valu tuer deux cents Juifs que de détruire autant d’objets
précieux. Heydrich, vexé, lui répond qu’il y a eu 35 Juifs tués.
Au fur et à mesure que l’on
trouve des solutions pour faire payer les dégâts par les Juifs eux-mêmes,
Göring se calme et l’ambiance devient plus légère. Heydrich l’écoute plaisanter
avec Göbbels sur la création de réserves de Juifs dans la forêt. Selon Göbbels,
il faudrait y introduire certains animaux qui ont foutrement l’air juif, comme
l’élan, avec son nez crochu. Toute l’assistance rit de bon cœur, sauf le
responsable des compagnies d’assurances, pas convaincu par le plan de
financement élaboré par le feld-maréchal. Et sauf Heydrich.
À la fin de la réunion, quand
on a décidé de confisquer tous leurs biens aux Juifs et de leur interdire toute
forme de participation aux affaires, il juge utile de recentrer le débat :
— Même si les Juifs sont
éliminés de la vie économique, le problème majeur demeure. Il consiste à
chasser les Juifs hors d’Allemagne. En attendant, suggère-t-il, il faudrait les
affubler d’un signe distinctif pour qu’on puisse les reconnaître.
— Un uniforme !
s’exclame Göring, toujours friand des choses vestimentaires.
— Un insigne, plutôt,
répond Heydrich.
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La réunion, toutefois, ne
s’achève pas sur cette note prophétique. Les Juifs sont dorénavant exclus des
écoles publiques, des hôpitaux publics, des plages et des stations balnéaires.
Ils doivent faire leurs courses à des horaires restreints. En revanche, suite
aux objections de Göbbels, on renonce à leur réserver un wagon ou un
compartiment à part dans les transports en commun : qu’arriverait-il en
effet en cas de forte affluence ? Les Allemands s’entasseraient tandis que
les Juifs auraient leur wagon pour eux tout seuls ! Bref, le niveau des
débats atteint des sommets de technicité et de précision.
Heydrich propose encore
d’autres restrictions de déplacement. Göring, complètement remis de sa colère
passagère, soulève alors, mine de rien, une question fondamentale :
« Mais, mon cher Heydrich, vous ne pourrez éviter de créer des ghettos sur
une très grande échelle, dans toutes les grandes villes. Il faudra bien en
arriver là. »
Heydrich répond, paraît-il, sur
un ton péremptoire :
« Sur le problème des
ghettos, je voudrais tout de suite définir ma position. Du point de vue
policier, j’estime impossible d’établir un ghetto sous forme d’un quartier
complètement isolé, où ne vivraient que des Juifs. On ne peut pas contrôler un
ghetto où le Juif se mêle à toute la population juive. Cela fait forcément un
abri de criminels, et aussi un foyer d’épidémies. Nous ne voulons pas laisser
les Juifs habiter les mêmes immeubles que la population allemande ; mais
actuellement, dans les îlots d’habitation ou dans les immeubles, les Allemands
forcent le Juif à se tenir correctement. Il vaut mieux le contrôler en le
maintenant sous les regards vigilants de toute la population que de l’entasser
par milliers dans un quartier où je ne peux pas contrôler convenablement sa vie
quotidienne avec des agents en uniforme. »
Raoul Hilberg voit dans ce
« point de vue policier » la conception qu’Heydrich se fait à la fois
de son métier et de la société allemande : la population tout entière est
considérée comme une sorte de police auxiliaire, à charge pour elle de
surveiller et de lui signaler tout comportement suspect chez les Juifs.
L’insurrection du ghetto de Varsovie en 1943, que l’armée allemande mettra
trois semaines à écraser, validera son analyse : les Juifs, il faut quand
même s’en méfier. Par ailleurs, il sait aussi que les microbes ne font pas de
distinctions de races.
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Physiquement, Mgr Tiso est
un petit gros. Historiquement, sa place est aux côtés des plus grands
collaborateurs. Sa haine du pouvoir central tchèque aura scellé son destin de
Pétain slovaque. L’archevêque de Bratislava a
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