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sa mission, elle peut cesser d’exister. Mais c’est pour le
moins inexact : la création de la Tchécoslovaquie a entériné le
démantèlement de l’Autriche-Hongrie, pas de l’Allemagne. De plus, si le devoir
de la Tchécoslovaquie avait été d’affaiblir l’Allemagne, 1939 semble un moment
peu opportun pour l’abandonner, à l’heure où l’Allemagne reconstitue sa
puissance, annexe l’Autriche et se fait de plus en plus menaçante.
Ou alors, deuxième
hypothèse : le Maure représente les démocraties de l’Ouest, qui ont fait
ce qu’elles ont pu à Munich pour limiter la casse (le Maure a fait son devoir),
mais qui se garderont bien d’intervenir désormais (le Maure peut partir)… Sauf
qu’on sent bien que dans la bouche d’Hitler, le Maure incarne la victime,
l’étranger qu’on utilise, et désigne la Tchécoslovaquie.
Troisième hypothèse :
Hitler ne sait pas trop lui-même ce qu’il a voulu dire ; il n’a simplement
pas résisté à l’envie de placer une citation, et sa mince culture littéraire ne
lui a pas permis d’en trouver une plus adéquate. Dans ce cas, il aurait
peut-être pu se contenter d’un « Vae victis ! » plus
adapté à la situation, simple mais toujours efficace. Ou bien carrément se
taire, puisque, comme dit Shakespeare, justement, « le crime, bien que
dénué de parole, s’exprime avec une merveilleuse éloquence »…
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Devant le Führer, Hácha s’est
complètement écrasé. Il a déclaré que la situation était très claire et que
résister serait une folie. Mais il est déjà 2 heures du matin, cela ne lui
laisse que quatre heures pour empêcher le peuple tchèque de se défendre. Selon
Hitler, la machine militaire allemande est déjà en marche (c’est vrai) et rien
ne pourra l’arrêter (en tout cas personne ne semble désireux d’essayer). Il
faut qu’Hácha signe la capitulation immédiatement, et en informe Prague.
L’alternative présentée par Hitler est très simple : soit la paix
maintenant et une longue collaboration entre les deux peuples, soit
l’anéantissement de la Tchécoslovaquie.
Complètement pétrifié, le
président Hácha a été remis entre les mains de Göring et Ribbentrop. Assis à
une table, il est face au document, qu’il n’a plus qu’à signer. Il a déjà le
stylo à la main, mais sa main tremble. Le stylo s’arrête avant de se poser sur
le papier. En l’absence du Führer, qui reste rarement pour régler les détails,
Hácha a un sursaut. « Je ne peux pas signer ça, dit-il. Si je signe la
capitulation, je serai à jamais maudit par mon peuple. » C’est
parfaitement exact.
Aussi Göring et Ribbentrop
doivent-ils s’employer à convaincre Hácha qu’il est trop tard pour reculer.
Cela engendre cette scène burlesque où, d’après les témoignages, les deux
ministres nazis se mettent littéralement à pourchasser Hácha autour de la
table, lui remettant sans cesse le stylo dans la main, le sommant de s’asseoir
et de signer ce foutu document. En même temps, Göring vocifère sans
interruption : si Hácha persévère dans son refus, la moitié de Prague sera
détruite dans deux heures par l’aviation allemande… pour commencer ! Des
centaines de bombardiers n’attendent qu’un ordre pour décoller, ordre qu’ils
recevront à 6 heures si la capitulation n’est pas signée.
Sur ces entrefaites, Hácha
titube, et s’évanouit. Maintenant, ce sont les deux nazis qui sont pétrifiés
devant son corps inerte. Il faut absolument le ranimer car s’il meurt, on
accusera Hitler de l’avoir fait assassiner, en pleine Chancellerie. Fort
heureusement, on possède sous la main un as de la piqûre, le docteur Morell,
celui qui dopera Hitler aux amphétamines jusqu’à sa mort à raison de plusieurs
injections par jour (ce qui au passage ne sera probablement pas sans rapport
avec la démence croissante du Führer). Morell surgit donc et pique Hácha, qu’il
parvient à réveiller. On lui met aussitôt un téléphone dans la main – vu
l’urgence, le papier attendra. Ribbentrop avait pris soin d’installer une ligne
spéciale en liaison directe avec Prague. Hácha rassemble ses maigres
forces ; il informe le cabinet tchèque à Prague de ce qui se passe à
Berlin et conseille la capitulation. On lui fait encore une piqûre, et on le
reconduit devant le Führer, qui lui présente à nouveau le document maudit. Il
est près de 4 heures du matin, Hácha signe. « J’ai sacrifié
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