Hiéroglyphes
reprendre. »
Le
morceau de roche était lourd, mais on le poussa, on le traîna
jusqu’aux deux tonnelets où je l’interposai entre
eux et le mur, espérant augmenter ainsi la force de
l’explosion.
Puis
je rejoignis, à côté, une Astiza silencieuse qui
regardait par la fenêtre. L’incendie ne donnait aucun
signe de s’apaiser, au contraire.
« Ethan ! »
Et
puis le monde explosa.
Le
magasin de fort Julien en priorité, lançant des tonnes
de débris vers le ciel. Même où nous étions,
le souffle nous projeta à terre. Un instant plus tard, les
tonnelets de l’armurerie firent écho, avec sensiblement
les mêmes résultats. Des morceaux de la pierre de
Rosette retombèrent en grêle. Le joli dos d’Astiza
était tout ce qu’il en restait.
Je
la touchai du bout d’un doigt.
« La
peinture est sèche, mon ange. Tu es un livre, le secret de la
vie !
— Alors,
trouve-lui une couverture. Je ne peux pas me promener toute nue ! »
Je
lui trouvai une capote d’officier. Mon tomahawk était
resté dans le crocodile mort. Rifle au poing, j’entraînai
Astiza parmi les décombres de l’armurerie, vers la
brèche pratiquée dans le mur.
On
l’escalada aussi vite que possible afin de pouvoir nous risquer
dans les rues de Rosette. Au bout de la première, une lessive
séchait auprès d’un âne attelé,
malade de frayeur.
25
F uir
à bord d’une charrette tirée par un âne
n’est pas le mode de locomotion le plus rapide pour semer ses
ennemis. Mais il avait l’avantage d’être tellement
ridicule qu’il n’attirait l’attention de personne.
La lessive étendue nous avait permis de compléter nos
tenues respectives. Bien que provisoirement revêtue d’un
bandage improvisé, la morsure infligée par le crocodile
m’élançait avec persistance. J’espérais
que dans la pagaille engendrée par ce crocodile, les chevaux
affolés, deux explosions violentes et autant d’incendies,
nous pourrions sortir de ce quartier pourri. Peut-être Silano
me croyait-il bien au chaud dans l’estomac d’un reptile,
à moins que quelqu’un ne l’eût éventré
pour s’en rendre compte ? Sinon, il déduirait que
nous tenterions sans doute de regagner le camp ottoman, à la
barbe des patrouilles navales françaises, puis de rejoindre
Sidney Smith, au large, afin de négocier sa complicité.
Nous n’avions plus de livre, mais Silano n’avait plus de
pierre de Rosette pour continuer à le déchiffrer. Statu
quo, une
fois encore.
Les
chances de succès de ce plan sommaire diminuèrent avec
la montée du soleil au zénith. Alors que nous quittions
les plaines inondables du Nil pour le désert rouge d’Aboukir,
un grondement se fit entendre qui n’était pas celui du
tonnerre, mais plutôt d’une canonnade. Ce qui signifiait
que, à moins d’une victoire improbable des Turcs, toute
l’armée de Napoléon nous barrait le passage.
C’était le 25 juillet 1799.
« Pas
moyen de reculer, soupirait Astiza. Silano nous repérerait.
— Les
batailles sont toujours un peu confuses. On va peut-être
trouver un moyen. »
Nous
parquâmes la charrette et l’âne derrière une
dune que nous escaladâmes pour aller voir la baie, de là-haut.
Le tableau d’ensemble nous fit déchanter. Une fois de
plus, la modestie des armes ottomanes sautait aux yeux. Les hommes de
Mustapha ne manquaient pas de courage, mais leur puissance de feu
était aussi pauvre que leur stratégie. Ils attendirent,
comme un troupeau de moutons paralysés, que les Français
les criblent de boulets avant de lancer leur cavalerie. On regarda,
de notre perchoir, les troupes de Joachim Murât crever la
première ligne ottomane, puis la seconde et puis la troisième.
Un vrai désastre. La cavalerie fonça tout au long de la
péninsule d’Aboukir, refoulant les Turcs dans leurs
tranchées. On apprit plus tard que Murât en personne
avait capturé le pacha au cours d’un furieux corps à
corps, le général français récoltant une
cicatrice à la joue tracée par la balle du pistolet de
Mustapha, juste avant qu’il ne lui tranchât deux doigts
en réponse, d’un large coup de sabre. La rumeur voulut
que Bonaparte eût bandé la main du blessé avec
son propre mouchoir. On était encore chevaleresque, en 1799.
Tout
le reste, bien sûr, n’avait été que
massacre. Plus de deux mille musulmans étaient restés
sur le champ de bataille, et près de deux fois ce chiffre
s’étaient noyés en tentant de rejoindre leurs
bateaux à
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