Hiéroglyphes

séparer
les eaux du Jourdain et de nourrir son peuple dans le désert
du Sinaï. Une suite de miracles accordés par Dieu ?
Ou bien puisait-il quelque part les inspirations nécessaires ?
Astiza en était convaincue. En tant que prince, il pouvait
entrer et sortir de cette pyramide qui n’était qu’un
leurre, une cachette où conserver le livre à l’abri
des convoitises hérétiques. Moïse s’en
empare et, quand le pharaon constate sa disparition, il pourchasse
Moïse, les esclaves hébreux et leurs six cents chariots
jusqu’à la mer Rouge où se noient les
poursuivants égyptiens. Ensuite, cette tribu d’anciens
esclaves parvient à la Terre promise qu’ils
entreprennent de reprendre à ses habitants civilisés,
établis sur place depuis longtemps. De quelle manière ?
Au moyen d’une arche pourvue de pouvoirs mystérieux ou
d’un livre de sagesse antique ? Improbable, sans doute,
et, pourtant, le Français y croit dur comme fer. Autrement,
ces hommes ne s’en seraient pas pris à Miriam. Nous
avons atteint un état de crise aussi réel que les
meurtrissures de ses bras et de ses épaules. »
    Le
forgeron ne me quittait pas des yeux, et ses doigts battaient sur la
table une charge effrénée.
    « Tu
es fou !
    —  Alors
pourquoi aurais-je trouvé ceci ? »
    Secouant
furieusement la tête, je leur montrai mes deux séraphins
d’or d’environ dix centimètres de diamètre.
Miriam eut un léger hoquet et les yeux de Jéricho
s’écarquillèrent. Pas seulement à cause de
l’éclat du métal, toujours aussi vif après
des milliers d’années, mais parce que ces angelots
agenouillés, en prière, avec les ailes déployées,
reproduisaient en miniature ceux qui avaient décoré la
partie supérieure de l’arche d’Alliance. Il ne
pouvait s’agir d’une contrefaçon exécutée
sur ma demande par quelque artisan. Trop parfaite, trop coûteuse
au prix de l’or.
    « Un
vieil homme que j’ai rencontré les a qualifiés de
compas. J’ignore ce qu’il voulait dire. Je ne distingue
pas encore très bien la réalité de la légende.
J’ai eu recours à la science, à la foi et à
la déduction depuis que j’ai quitté Paris, il y a
un an. Mais les pyramides semblent fondées sur des
mathématiques abstruses que nul peuple primitif ne pouvait
maîtriser. Et d’où est venue la civilisation ?
D’Égypte, d’où elle semble avoir jailli
toute faite. La légende veut que toutes les connaissances
humaines en matière d’architecture, d’écriture,
de médecine et d’astronomie aient émané
d’un être du nom de Thot, devenu dieu égyptien,
prédécesseur du dieu grec Hermès. Et Thot aurait
écrit un livre de sagesse si puissant qu’il pouvait
servir le bien autant que le mal. Impressionnés, voire
effrayés par sa puissance, les pharaons égyptiens ont
cru le mettre à l’abri sous la Grande Pyramide. Mais si
Moïse l’a volé, le livre a pu être, le livre
a dû être apporté ici par les juifs.
    —  Moïse,
objecta Miriam, n’est même pas arrivé en Terre
promise. Il est mort sur le mont Nébo, en la contemplant
par-dessus le Jourdain. Dieu ne lui a pas permis d’y entrer.
    —  Mais
ses successeurs sont venus, avec l’arche. Et si ce livre
faisait partie de l’arche, ou la complétait ? S’il
avait été enterré au-dessous du temple de
Salomon ? S’il avait survécu à la
destruction du premier temple par Nabuchodonosor et les Babyloniens,
et à celle du second temple par Titus et les hordes romaines ?
S’il était toujours là, attendant d’être
redécouvert ? Enfin, s’il était retrouvé
par Bonaparte, qui rêve d’être un nouvel
Alexandre ? Ou par le comte Alessandro Silano et sa clique, qui
ne rêvent que de s’enrichir, eux et leur rite égyptien
corrompu de la franc-maçonnerie ? Silano a pu survivre à
sa chute de mon ballon, même si Astiza en est morte. Ce livre
pourrait compromettre l’équilibre du pouvoir. Il faut le
récupérer avant eux et même, au pis aller, le
détruire. Il faut que nous le recherchions partout où
il peut être, sans laisser aux Français le temps de nous
battre de vitesse.
    —  Tu
vis dans ma maison, tu travailles à ma forge et c’est
seulement aujourd’hui que tu me racontes tout ça ? »
    Jéricho
était très en colère, mais néanmoins
fasciné par mes deux séraphins.
    « J’ai
essayé de vous garder, toi et Miriam, en dehors de tout. C’est
un cauchemar, pas un privilège. Mais à présent,
si tu