Hiéroglyphes

connais des tunnels souterrains inexplorés, il faut que
tu m’aides à m’y introduire. Les Français
n’abandonneront pas. La course est commencée.
    —  Je
suis forgeron, pas explorateur.
    —  Et
moi, je suis un représentant de commerce mêlé
malgré lui à des guerres lointaines, et pas un soldat.
Parfois, nous sommes appelés à faire certaines choses,
Jéricho. Tu es appelé à m’aider dans mon
entreprise.
    —  Pour
repêcher le livre magique de Moïse !
    —  Pas
de Moïse. De Thot.
    —  Ah !
Pour repêcher un livre écrit par un dieu mythique, une
fausse idole.
    —  Non.
Pour empêcher les méchants, membres du rite égyptien
dévoyé de la franc-maçonnerie, d’accéder
à ses pouvoirs maléfiques. »
    Ma
frustration croissait de seconde en seconde, car je me rendais
parfaitement compte du sens incroyable de mes paroles.
    « Le
rite égyptien ?
    —  Souviens-toi,
mon frère, intervint Miriam, de ce qui se disait en
Angleterre. Une société secrète aux pratiques
funestes. Certains maçons les abhorraient. »
    Je
m’empressai d’appuyer :
    « C’est
vrai, Jéricho. L’homme qui a attaqué ta sœur
est l’un d’eux.
    —  Mais
je travaille avec le fer et le feu. Des choses tangibles. Je ne
connais rien de la Jérusalem antique, des tunnels cachés,
des livres perdus ou des maçons déloyaux. »
    Je
fis la grimace. Comment venir à bout de ses réticences ?
    « Mais
il y a, rappela Miriam, un érudit dans cette ville qui a
fouillé les anciens couloirs souterrains.
    —  Tu
veux dire l’usurier ?
    —  C’est
un étudiant du passé, mon frère. »
    Je
sursautai :
    « Un
historien ? »
    Peut-être
Énoch, qui m’avait aidé en Égypte.
    « Plutôt
un collecteur d’impôts mutilé, concéda
Jéricho à regret, mais elle a raison, personne n’en
connaît plus que lui sur l’histoire de Jérusalem.
Miriam lui a témoigné une certaine amitié. Il va
nous falloir des lanternes, des pioches, l’aide de Sidney
Smith… et les conseils de Haïm Farhi.
    —  De
qui s’agit-il exactement ? »
    J’étais
heureux de sentir le forgeron pencher enfin de mon côté.
    « Un
homme qui en sait plus long que n’importe qui sur d’autres
chasseurs de trésors : les chevaliers chrétiens
dont l’intervention historique rend peut-être la nôtre
inutile ! »

7
    J e
m’attendais à retrouver, en la personne de Haïm
Farhi, quelqu’un qui aurait la gravité, la dignité
aristotélicienne d’Enoch, l’antiquaire égyptien
assassiné par mes ennemis. Et je ne revenais pas de ma
surprise. Non seulement parce que ce petit juif d’un certain
âge, en vêtements noirs et rouflaquettes bouclées,
ne me rappelait en rien la majesté d’un Enoch, mais
parce que sa mutilation faisait de lui l’un des êtres les
plus hideux qu’il m’eût été donné
de rencontrer. Son nez avait presque entièrement disparu, ne
laissant à la place qu’une sorte de groin. Il n’avait
plus d’oreille droite. Et de son œil droit ne subsistait
qu’une affreuse cicatrice qui en obstruait complètement
l’orbite.
    « Mon
Dieu, que lui est-il arrivé ? chuchotai-je à
Jéricho tandis que Miriam allait pendre le manteau de l’homme
à la patère.
    —  Il
a encouru l’ire de Djezzar-le-Boucher. Surtout, ne lui exprime
aucune sympathie. Il arbore sa survie comme une décoration.
C’est l’un des banquiers les plus puissants de Palestine
et il a la confiance de Djezzar, car il lui est resté fidèle
après son passage à la torture.
    —  Les
gens lui confient tout de même leurs économies et lui
empruntent de l’argent ?
    —  C’est
son visage qui a été saccagé, pas son cerveau. »
    Nous
avions parlé à voix basse, même si les propos que
nous échangions ne pouvaient être un mystère pour
cet homme. Miriam nous rejoignit et le présenta en ces
termes :
    « Rabbi
Farhi est le plus grand historiographe de la province. C’est
aussi un étudiant des mystères juifs. Quiconque
s’intéresse au passé ne saurait s’adresser
à une meilleure source.
    —  Voilà
pourquoi j’apprécie son assistance. »
    Je
m’efforçais d’être diplomate, mais j’avais
toutes les peines du monde à ne pas le regarder fixement.
    « Comme
j’apprécie votre tolérance à l’égard
de mon aspect physique, rétorqua-t-il d’une voix
sereine. Je sais quel effet je produis sur les gens. Je lis le reflet
de mes disgrâces physiques dans les yeux effrayés de
tous les enfants qui