Hiéroglyphes
racheta pour me permettre de payer ma dette à
Mohammed, avec un peu de menue monnaie en plus.
« Si
vous savez dépenser moins que vous ne gagnez, souligna Smith,
vous possédez le talisman des philosophes. Moi aussi, j’ai
lu votre ami Franklin. »
Et
je revins à la vieille ville des croisés, notre voyage
en mer correspondant, sur terre, aux colonnes de fumée qui
signalaient l’avance des troupes napoléoniennes. Les
rapports journaliers que nous recevions faisaient état
d’escarmouches entre leurs unités et les musulmans de
l’intérieur, mais ce n’était qu’à
Acre que le problème se poserait dans toute son ampleur.
La
cité d’Acre repose sur une péninsule qui s’avance
en Méditerranée à l’extrémité
nord de la baie du Carmel. Ainsi, elle est entourée d’eau
sur les deux tiers de sa périphérie. Cette péninsule
s’étend au sud-ouest du continent, et son port fait
barrage contre les caprices de la mer. Acre est plus petite que
Jérusalem, à l’intérieur d’une
enceinte territoriale et maritime de moins de trois kilomètres,
mais elle est plus prospère et presque aussi peuplée. À
notre arrivée, les Français fermaient la ville sur sa
face territoriale, drapeaux tricolores flottant au vent d’un de
leurs camps fortifiés à l’autre.
Acre,
en temps de paix, est une jolie ville aux murs bordés de
larges étendues de roseaux, côté mer, et de
champs verdoyants, côté terre. Un vieil aqueduc
désaffecté relie ses douves aux lignes françaises.
Le grand dôme de cuivre vert-de-grisé du toit de sa
mosquée centrale et l’aiguille de son minaret ponctuent
un charmant paysage de tuiles, de tourelles et d’auvents.
Certains étages supérieurs s’agrémentent
de petits ponts qui enjambent les rues sinueuses. Ombragés par
des chapiteaux multicolores, les marchés emplissent les
artères principales. Elle s’enorgueillit de trois
ensembles auberges entrepôts qui accueillent les visiteurs, le
khan el-Omdan, le khan el-Efranj et le khan el-Shawarda.
En
contrepartie à tant de charme urbain, se dresse, sur le mur
nord, le palais du pacha au pouvoir, bâtiment sinistre
remontant aux croisés avec une tour dans chaque coin. Sa
sévérité est toutefois tempérée
par les fenêtres du harem ouvertes sur les jardins de la
mosquée. Le fort, haut juché, et la vieille cité
médiévale aux toits de tuiles me firent tout de suite
penser à un maître sévère surveillant, du
haut de sa grandeur, une classe d’enfants aux cheveux roux.
Gouvernement
et zone religieuse occupent le quartier nord-est de la ville, et les
murs de l’enceinte font face au nord comme à l’est,
avec à leur jonction une énorme tour massive. Cet
édifice, clef du futur siège, serait baptisé par
les Français la tour maudite. Acre
pouvait-elle, en fait, être défendue ?
Nombreux
étaient ceux qui ne le croyaient pas. On entra dans le port à
bord du petit bateau de Mohammed et de la chaloupe du Tigre ,
et, quand on accosta le quai, il était envahi par une horde de
réfugiés avides de quitter la ville. Smith, Mohammed et
moi-même, on fendit rapidement cette foule proche de la
panique. Il y avait surtout beaucoup de femmes et d’enfants,
mais aussi de riches marchands qui avaient acheté à
Djezzar le droit de partir. En temps de guerre, argent peut être
synonyme de survie, et les nombreux récits de massacres qui
circulaient le long de la côte affolaient la population.
Chargés de leurs biens les plus précieux, dans des
baluchons improvisés, les plus entreprenants cherchaient à
s’embarquer dans les cargos des marchands itinérants.
Une femme au front ruisselant de sueur trimbalait un service à
café en argent ainsi que deux bébés hurleurs
accrochés à sa robe. Un marchand de cotonnades portait
à sa ceinture deux pistolets chargés, dans des fontes
cousues de pièces d’or. Une jolie fillette de six ans
aux yeux noirs, aux lèvres tremblantes, berçait un
chaton rétif. Un banquier houspillait ses esclaves africains,
lesquels s’efforçaient de lui frayer un chemin jusqu’au
premier rang des candidats à l’évacuation rapide.
« Ne
vous occupez pas de cette racaille, nous conseilla Smith. Mieux vaut
s’en passer…
— Ils
ne font pas confiance à leur garnison ?
— Leur
garnison ne se fait pas confiance à elle-même !
Djezzar en a sous son burnous, mais, jusque-là, les armées
françaises ont écrasé tout ce qui leur barrait
le passage. Vos canons vont bien
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