Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
à
tort et sans cause. – Ce monde n’est point un lieu de félicité,
répondit la duchesse, mais de travaux et d’afflictions. Mon
Seigneur Jésus-Christ, qui a tant souffert, veut que ses amis
participent de ses douleurs ; il m’a donné de son vin
d’amertume, mais aussi de sa patience. Que son nom soit à jamais
béni ! »
Le duc, sollicité par les barons et les
seigneurs, revint à des sentiments plus sages, et reconnaissant ses
torts envers la sainte compagne que Dieu lui avait donnée, les
expia par une rude pénitence. Peu de temps après, il sentit venir
les approches de la mort, et s’y étant préparé pieusement, il la
considéra sans effroi. Il désigna de nouveau, pour lui succéder, le
connétable de France, Arthur de Bretagne, comte de Richemont, et
après lui, François, comte d’Étampes, fils de Richard. Pierre
emporta dans la tombe les regrets du peuple, qu’il n’avait pas
écrasé d’impôts (1457). La duchesse embrassa la vie monastique au
couvent des Coëts, près de Nantes.
Arthur de Richemont, fils de Jean le
Conquérant et frère de Jean V, grand capitaine et prince d’une
expérience consommée, avait près de soixante-cinq ans lorsqu’il
s’assit sur le trône de Bretagne. Il se rendit l’année suivante
(1458) à Tours, où Charles VII, qui y était alors, l’avait
extrêmement pressé de venir pour conférer avec lui sur des affaires
importantes. Il partit de Nantes, suivi d’un grand nombre de
gentilshommes, et passa par Angers, où une indisposition le retint
quelques jours. Lorsqu’il fut près de Tours, tous les seigneurs de
la cour vinrent au-devant de lui et l’escortèrent au logis du roi.
Le duc faisait porter devant lui, par Philippe de Malestroit, son
premier écuyer, deux épées, l’une la pointe en haut, et l’autre en
écharpe : la première comme duc de Bretagne, et la seconde
comme connétable de France. Arthur, malgré les remontrances de ses
barons, qui lui représentèrent que cette charge était au-dessous
d’un duc de Bretagne, ne s’en était point démis. « Je veux,
dit-il, honorer dans ma vieillesse ce qui m’a honoré dans ma
jeunesse. »
D’ailleurs, dans son désir de venger la France
de l’Angleterre, il avait formé le projet d’effectuer une descente
en Angleterre avec une puissante armée, et il espérait que le titre
de connétable du royaume engagerait un plus grand nombre de
Français à se joindre à lui pour cette expédition.
Après avoir demeuré un mois à Tours, il
demanda à être admis à faire hommage de son duché. Le roi marqua le
lieu et le jour pour cette cérémonie. Le conseil de
Charles VII insista plus fortement que jamais sur la nature de
l’hommage, qu’il prétendait être lige, dans l’idée que le duc, qui
était si dévoué à la France et si attaché au roi, aurait de la
peine à refuser ce qu’on exigeait de lui. Arthur fut en effet
très-embarrassé, ne voulant ni déplaire à Charles VII, ni
renoncer à ses prérogatives. Pour se tirer d’affaire, il répondit
qu’avant d’accorder ce qu’on lui demandait, il ne pouvait se
dispenser de consulter les états de Bretagne, qu’il assemblerait
sans retard à cet effet. Il partit aussitôt très-mécontent et s’en
alla dans son duché, résolu de ne revenir jamais en France, où l’on
abusait ainsi de son dévouement aux intérêts de la couronne. Mais
un motif pressant l’engagea à revenir à la cour l’année suivante,
pour y prendre la défense du duc d’Alençon.
Celui-ci avait été arrêté trois ans auparavant
par l’ordre du roi, et conduit prisonnier à Melun. Ce prince, qui
était de la maison de France et issu d’une duchesse de Bretagne,
mécontent de la conduite de Charles VII à son égard, avait
traité avec le roi d’Angleterre et avait promis de lui livrer ses
places. Mais, pour que cela eût lieu sans qu’il parût y avoir part,
il s’était éloigné d’Alençon et il habitait Paris. Ayant été arrêté
par le comte de Dunois, Arthur, qui n’était alors que connétable,
fut chargé de l’aller interroger. Mais il n’en put rien tirer,
sinon qu’il dirait le fait au roi, et non à d’autres. Il fut donc
mené à Charles VII, qui, après l’avoir convaincu d’avoir
traité avec les ennemis de l’État, résolut de lui faire faire son
procès. On le lui fit en effet dans les formes trois ans après.
Richemont, sollicité par la duchesse d’Alençon, qui était allée
exprès en Bretagne
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