Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
règne ni
doublement de tailles, ni demandes de subsides, ni levées de
deniers pour quelque besoin que ce fût. Il se contenta de ses
propres revenus, et sa cour n’en fut ni moins brillante, ni moins
honorée.
Un des premiers actes du gouvernement de
Pierre II fut la punition des meurtriers de Gilles de
Bretagne. Olivier de Meel, le plus cruel de ses bourreaux, après
avoir consommé son crime, s’était réfugié au château de Marcoussis
près de Paris, appartenant au maréchal de Graville, beau-frère
d’Arthur de Montauban. Richemont, ayant appris le lieu de sa
retraite, l’envoya prendre et le fit conduire à Nantes : ce
procédé blessa la cour de France, où l’on trouva fort mauvais que
le duc de Bretagne eût ainsi, sans la permission du roi, fait
exécuter dans le royaume un décret donné en Bretagne. On regarda
cette entreprise comme un attentat à la majesté du souverain, et
l’on envoya des députés à Vannes pour redemander le prisonnier.
Mais le crime d’Olivier de Meel était si énorme, qu’après quelques
contestations entre les députés et les officiers du duc, ils
convinrent entre eux que, sans s’arrêter à des formalités qui
auraient pu dérober le coupable à la justice, les envoyés du roi se
contenteraient qu’on le leur remît entre les mains seulement pour
la forme, et à condition qu’ils le rendraient aussitôt aux
officiers du duc, ce qui fut exécuté. Ainsi l’on continua à faire
le procès à de Meel, qui eut la tête tranchée à Vannes, ainsi que
ses complices, dont les corps coupés par quartiers furent portés en
divers lieux et exposés publiquement sur les grands chemins.
En paix avec toutes les puissances,
Pierre II s’occupa d’administration. Les actes qu’on nomma les
constitutions de Pierre II amenèrent quelques améliorations
dans l’exercice du notariat ; l’obligation intimée aux avocats
de plaider les causes de leurs parties pour la somme de cinq sous,
et celles des pauvres gratuitement ; enfin l’exemption des
tailles, fouages [7] et impôts, accordée aux tisserands,
brodeurs, teinturiers, etc., qui viendraient s’établir en Bretagne.
Pierre II consentit aussi des traités de commerce avec
l’Espagne et le Portugal.
Quoique Pierre montrât assez de disposition à
se maintenir en paix avec les puissances, il n’en avait pas moins
jugé convenable d’envoyer des secours à Charles VII, qui
continuait en Guyenne la guerre avec succès. Pierre II lui
fournit des vaisseaux et confia ses meilleurs guerriers à son
cousin François de Bretagne, fils de Richard, frère de Jean V,
jeune prince à peine âgé de seize ans, qu’accompagnèrent, pour le
diriger, le maréchal de Montauban, le sire de la Hunaudaye et
Roland de Carné. Les Bretons assiégèrent Castillon, vainquirent les
Anglais dans une affaire de grande importance, tuèrent le fameux
Talbot, et assurèrent au roi la conquête de la Guyenne.
De nouveaux états se rassemblèrent à
Vannes ; le duc annonça que, pour obéir au testament de feu
son frère François I er , il mariait Marguerite, sa
nièce, au jeune prince François, fils de Richard. Cette union, qui
réunissait les prétentions des deux branches collatérales de la
maison de Bretagne, était approuvée par le roi de France : les
états la confirmèrent.
La femme de Pierre II, Françoise
d’Amboise, devenue
bienheureuse
par la sainteté de sa vie,
servait Dieu avec une pureté angélique. Pierre II méconnut le
trésor qu’il possédait ; il devint jaloux ; sa passion le
poussa jusqu’à frapper plusieurs fois sa sainte compagne. Un jour
que les coups dont il l’avait accablée l’avaient mise toute en
sang, elle lui dit avec une douceur incomparable : « Mon
ami, croyez que j’eusse mieux aimé mourir que d’offenser Dieu ni
vous. Mes péchés toutefois méritent peut-être plus rude châtiment
que celui-ci. Mon cher ami, nul n’en est exempt. Dieu nous veuille
pardonner ! » Pierre alla plus loin ; il chassa tout
l’entourage de la duchesse, et même sa nourrice, femme vertueuse et
tendrement aimée de Françoise, dont la douleur fut telle qu’elle
tomba gravement malade, et qu’en peu de jours on désespéra de son
rétablissement. La nourrice pénétra dans sa chambre, nonobstant les
défenses et les gardes, et s’agenouillant près du lit :
« Madame et bonne maîtresse, dit-elle, hélas ! si votre
cœur pouvoit parler, il me ferait connoître qu’on vous persécute
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