Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
bien, incapable de trahir la vérité. Le roi lui
demanda d’abord s’il savait le motif de sa détention et celle de
ses collègues. « Il est difficile à des innocents, répondit
modestement le chancelier, de deviner les crimes qu’on peut leur
imputer. Pour moi, je crois n’être coupable que des fautes
d’autrui, sans le savoir. » Il ajouta qu’il suppliait le roi
de vouloir bien lui apprendre le sujet de son mécontentement, et
que, s’il avait quelque nouveau sujet de se plaindre du duc, il
promettait de lui dire la vérité, et qu’il était en état de le
justifier. « Il est inutile, répliqua le roi, de vouloir
excuser votre maître ; j’ai des preuves sans réplique. Ne
m’avez-vous pas, continua-t-il, assuré, toutes les fois que vous
avez été dépêché vers moi, que mon neveu le duc de Bretagne n’avait
aucune intelligence avec le roi d’Angleterre ? » Le
chancelier assura que cela était vrai, et que rien n’était capable
de lui faire avancer une fausseté. « Mais, reprit le roi, si
je vous montre le contraire par écrit, qu’aurez-vous de plus à
dire ? – Je croirai ce que je verrai, » répliqua le
chancelier. Louis XI lui fit voir alors vingt-deux lettres,
dont douze étaient écrites de la main de Guillaume Guéguen,
secrétaire du duc, et signées de ce prince, et dix qui étaient du
roi d’Angleterre.
Chauvin, ayant lu ces lettres, fut très-étonné
de voir que son maître, qui le chargeait d’assurer le roi qu’il
n’avait aucune relation avec les Anglais, traitait cependant avec
eux et formait des projets contre la France. Il protesta devant
Dieu qu’il n’avait eu aucune connaissance de ces négociations, et
que si le roi avait sur cela quelque juste soupçon contre lui ou
contre ses collègues, il consentait que lui ou eux fussent punis
avec rigueur. « Monsieur le chancelier, dit le roi, je sais
bien que vous ni vos compagnons n’en saviez rien, et que pour chose
du monde vous n’eussiez voulu être d’un tel conseil. Beau neveu n’a
eu garde de vous y appeler ; il n’y a que son trésorier et son
petit secrétaire Guéguen qui conduisent cette marchandise ; et
pour ce, vous voyez clairement que je ne vous ai pas fait arrêter à
fausses enseignes, ni sur des soupçons mal fondés.
Retournez-vous-en, vous et vos compagnons, par devers beau neveu de
Bretagne ; portez-lui ses lettres, et lui dites que je ne veux
plus qu’il envoie par devers moi pour me cuider (penser) estimer
son ami, s’il ne se défait de tout point de ce roi
d’Angleterre. »
Les ambassadeurs, de retour en Bretagne,
firent part au duc de tout ce qui s’était passé à la cour de
France, et de la disposition où le roi paraissait être à son égard.
Chauvin lui montra en particulier les vingt-deux lettres que
Louis XI lui avait remises. Le duc, très-surpris de la
découverte de son secret, manda sur-le-champ Landais, et lui montra
les lettres que le roi avait données à son chancelier. « Je
sais, lui dit François, par qui elles ont été envoyées, et de
quelle conséquence elles sont. Je ne me suis confié qu’à vous,
c’est donc à vous de me dire comment elles sont tombées entre les
mains du roi. » Landais demeura d’abord interdit, changea de
couleur et ne sut que répondre. Il se jeta ensuite aux pieds du
duc, et lui protesta qu’il n’avait rien fait contre son devoir. Il
ajouta qu’il n’avait pas porté ces lettres lui-même, comme le duc
le savait bien ; qu’il s’était servi d’un jeune homme de basse
condition nommé Maurice Gourmel, qui était son secrétaire, et qu’il
avait jugé fidèle ; que c’était ce jeune homme qu’il avait
employé pour porter ces lettres et rapporter les réponses ;
que c’était donc de lui seul qu’on pourrait apprendre comment elles
étaient tombées entre les mains du roi.
Le duc, par le conseil de Landais, donna ordre
d’arrêter ce jeune homme dans un port de Bretagne où il était près
de s’embarquer pour l’Angleterre, chargé encore de quelques lettres
pour Édouard. Il fut pris, amené à Nantes et interrogé. Il avoua
qu’il y avait à Cherbourg un homme, avec qui il était
d’intelligence ; que cet homme ouvrait les dépêches dont il
était chargé pour l’Angleterre, en retenait les originaux et en
faisait des copies, imitant parfaitement les signatures du duc et
de Guéguen ; qu’il en usait de même à l’égard des réponses
d’Angleterre, et contrefaisait les
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