Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
médecin et son ami, Latouche-Cheftel, s’était
offert à lui pour être l’instrument de ses projets ; mais
l’œil pénétrant de La Rouërie aperçoit bientôt une trahison au fond
des folles espérances dont Cheftel le berce ; Cheftel est à
Paris, où il vend son ami à Danton. Ce coup terrible épuise les
forces de La Rouërie, déjà miné par une fièvre mortelle :
errant dès lors de forêt en forêt, de ravin en ravin ; traqué
par des ennemis qui ont son secret ; n’osant soulever son
armée de peur d’accélérer la perte de Louis XVI, dont le
jugement durait encore, il ne fit plus que languir jusqu’au
commencement de 1793. La mort de La Rouërie demeura près de deux
mois secrète. La Révolution avait perdu ses traces ;
Latouche-Cheftel les cherchait partout sans les trouver. Les
Anglais furent plus heureux ; ils révélèrent à la Convention
la retraite de son ennemi, par l’entreprise des Amis de la
Constitution de Londres, affiliés aux Jacobins de Paris.
La Rouërie inspirait tant de craintes à la
République, que les deux agents de police chargés de l’arrêter, et
le croyant vivant, demandèrent sept mille hommes pour les soutenir.
C’était inutile : un jardinier, mis à la question, conduit les
agents dans le jardin du château de la Guyomarais, et leur
dit :
« L’homme que vous cherchez est là.
« – Il est donc mort ?
« – Et enterré, suivant ses désirs, avec
toute sa correspondance et tous ses papiers. »
On trouve en effet ces fatales lettres, qui
firent monter à l’échafaud les nobles et héroïques complices de La
Rouërie ; ils moururent comme ils avaient vécu, le cœur plein
de courage. Il manquait cependant à la Convention la liste des
complices du héros : Thérèse Lemoëlien la brûla lorsqu’on vint
l’arrêter. Action généreuse, mais qui perdit la conspiration :
compromis par la liste fatale, tous les confédérés se seraient
battus jusqu’à la mort ; sauvés par sa destruction, la plupart
renoncèrent à la partie ou l’ajournèrent. On jugea plus tard, à
Paris, vingt-sept des complices de La Rouërie : douze
montèrent sur l’échafaud ; il y avait là trois femmes,
soutenues par Thérèse Lemoëlien. L’une d’elles,
M me de La Touchais, mourait à la place d’une
sœur dont elle avait pris le nom. Tous refusèrent énergiquement les
services des prêtres constitutionnels.
Morillon et Barthe annoncèrent en ces termes
au gouvernement républicain la mort du grand conspirateur :
« … La Rouërie est mort dans un
accès de rage ;
ses partisans sont aux mains de la loi, ou poursuivis par
l’éternel remords.
La ci-devant province de Bretagne est
paisible ; il n’y a rien à craindre d’elle pour la
république. Nous pouvons en dire autant des départements
limitrophes.
La
calotte
et les vieux parchemins sont
vaincus ; mais il faut élever ce peuple
ignorant
à la
hauteur de notre
belle
révolution ;
nous devons
le contraindre à savoir être libre.
De longtemps il ne sera
tenté, sans aucun doute, de se révolter contre les principes
sauveurs
proclamés par la Convention ; mais
si
vous n’avez rien à craindre de lui,
il n’y en est pas ainsi
des patriotes, qui se sont affadis dans un modérantisme
ignominieux. Nous allons nous mettre à la chasse des prêtres et des
nobles qui n’ont pas encore expié leur incivisme par l’exil ou par
la guillotine. Cette oeuvre de sansculotisme ne sera pas longue à
accomplir… Nous croyons devoir signaler à l’attention des comités
l’hypocrisie de quelques faux républicains qui regrettent la mort
de Capet, et qui surtout
affectent des craintes chimériques sur
la tranquillité des paysans.
Que les levées s’effectuent avec
du canon et des coups de fusil, et personne ne songera à se
révolter ;
nous vous le garantissons
sur notre foi de
bons républicains et de sans-culottes. »
Cette lettre importante est datée du 5 mars
1793. Cinq jours après, la Bretagne, l’Anjou et le Poitou se
levaient en masse. Mais avant de raconter l’explosion populaire de
l’Ouest, disons un mot des derniers excès qui la rendirent
inévitable.
Les administrations départementales, non
contentes de féliciter la Convention sur la mort de Louis XVI,
allèrent jusqu’à dénoncer le jeune Louis XVII, sous prétexte
d’extirper les
racines de l’arbre monarchique.
La délation
fut, d’ailleurs, partout à l’ordre du jour : « On put
être infâme et
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