Histoire de la Bretagne ancienne et moderne
multipliaient de jour en jour. En même temps la double
guerre sévissait au dedans et au dehors. Huit mille Vendéens
enlevaient Bressuire, et les troupes allemandes, forçant nos
frontières, prenaient Longwy et Verdun.
Une armée de commissaires et de procureurs fit
payer ces échecs aux nobles et aux prêtres de l’Ouest. On dressa la
liste des émigrés, de leurs biens, de leurs enfants et de leurs
proches. Leurs receveurs et leurs intendants, sous peine de se voir
traités comme suspects, apportèrent leurs comptes aux comités de
surveillance. Ce fut dans toute la Bretagne un bouleversement
général de l’ancienne société, une immense hécatombe, pour ainsi
dire, de propriétés séculaires.
Et qui achète à vil prix ces biens
nationaux ? Ceux qui en ont chassé les maîtres dans cet
espoir ; quelquefois, hélas ! le serviteur qui feignait
de pleurer leur départ ; parfois aussi, disons-le, un honnête
homme qui semble voler ceux auxquels il veut un jour restituer
leurs domaines. Pour l’honneur de la France, pour l’honneur surtout
de la Bretagne, ces derniers furent nombreux.
Les élections départementales, qui allaient
enfanter 93, furent dominées partout par les émissaires de la
commune de Paris, par ces brigands reconnus qui dilapidaient les
fonds publics, comme les propriétés particulières, qui pillaient le
garde-meuble, les églises, les dépouilles des victimes de
septembre, et allaient passer du vol juridique à l’assassinat
légal. À leur exemple, les bandits ordinaires, n’ayant plus de
frein, arrachaient aux femmes leurs bijoux en public, pour en
faire, disaient-ils, hommage à la patrie.
Tout profitait aux jacobins, au dehors comme
au dedans, les triomphes comme les défaites de la France. La
nation, pour échapper aux horreurs de la guerre civile, de la
proscription, et à la mort honteuse des échafauds, passait dans
l’armée : deux mille volontaires, affluant de toutes parts,
quittaient chaque jour Paris pour courir à la frontière. Avec ces
jeunes héros, Dumouriez et Kellermann réparaient à Valmy les échecs
de Longwy et de Verdun ; Custine enlevait Mayence et Francfort
aux Autrichiens, qui se vengeaient en brûlant sept cents maisons à
Lille ; Montesquiou envahissait la Savoie, et Anselme le comté
de Nice ; enfin la première heure de l’an I er de la
République française sonnait au milieu de tout ce bruit d’armes et
des cris de victoire (24 septembre 1792).
Les honnêtes gens qui avaient pu concevoir
d’heureuses illusions en 89, ceux qui les avaient conservées en 90
et 91, ouvrirent les yeux devant les horreurs qu’inaugurait 92,
horreurs que 93 devait encore surpasser. À la suite de beaux
discours sur la liberté, la foule ameutée, qui venait d’applaudir
aux promesses de tolérance, demandait à grands cris la tête des
prisonniers. Ces prisonniers, c’étaient des nobles, des prêtres,
des moines, des religieuses, des
suspects
en un mot !
Voyant diminuer leur nombre par la retraite des républicains
honnêtes, les sans-culottes bas-bretons redoublèrent de
violence.
L’année 1793 vint pour la France, et le 21
janvier le fils de saint Louis montait au ciel ; avec cette
noble et pure victime semblaient s’envoler tous les anges gardiens
du pays, qui resta livré à une armée de démons. La Bretagne n’avait
pas attendu le 21 janvier pour se jeter en travers de la Montagne.
Trois jours après l’exécution de Louis XVI, la République
avait décrété la levée de trois cent mille hommes qui devaient
marcher à la frontière : de son côté, l’Europe monarchique
lançait quatre cent mille soldats contre la République. Dès que la
levée en masse fut promulguée, une scission profonde s’établit
entre les villes et les campagnes de l’Ouest. Dans les villes,
l’enthousiasme républicain entraîna les populations vers la guerre
extérieure ; dans les campagnes, la terreur des paysans
rappela celle qui avait glacé la France au commencement de l’an
1000. Est-il encore temps de sauver l’autel et le foyer ? se
demandèrent Bretons et Vendéens. Ce fut alors qu’on apprit la mort
obscure de La Rouërie ; il avait cessé de battre, ce noble
cœur, le 30 janvier 1793 ; il s’était brisé de douleur en
apprenant que la tête de son roi avait roulé sur les planches d’un
échafaud.
Avant de mourir, La Rouërie avait tenté, par
un sublime effort, d’ébranler la Révolution par la main de ses
propres auteurs. Son
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